Scène surprenante avenue des Gobelins
Le Journal des débats politiques et littéraires ― 8 aout 1874
Avant-hier à deux heures de l'après-midi, une voiture d'une forme spéciale était arrêtée avenue des Gobelins, à l'angle du boulevard Saint-Marcel. Il en sortait des clameurs, des chants enroués, des vociférations, des glapissements, des imitations de cris d'animaux formant une épouvantable cacophonie. Bientôt les portières, hermétiquement closes, s'ouvrent brusquement et livrent passage à des têtes échevelées, à des faces hébétées ou grimaçantes, agitées de tics nerveux, de rictus, de tiraillements des muscles de la face, reproduisant tous les types de l'agitation inconsciente et de la démence réunis dans le célèbre tableau de Kaulbach.
Bientôt se montrèrent des bras qui, à leur tour, mus d'une façon étrange, faisaient des gestes désordonnés.
C'était la voiture des aliénées qui venait de quitter l'asile Sainte-Anne pour se rendre à celui de Ville-Evrard.
Au milieu de la nuit de leur intelligence, ces malheureuses femmes avaient eu un éclair de lucidité qui leur avait suffi pour s'entendre entre elles, et elles s'étaient révoltées contre les Sœurs chargées de les conduire.
Après avoir employé vainement tous les moyens de persuasion et de fermeté, les religieuses avaient reconnu leur impuissance à réprimer l'insurrection et avalent dû arrêter le véhicule pour réclamer du secours au poste de la rue Esquirol.
Des gardiens sont montés dans la voiture. Leur uniforme a produit sur les folles une certaine impression que leur attitude calme et sévère a encore augmentée. Elles se sont graduellement apaisées et on a pu les conduire jusqu’à la gare de Lyon, où elles sont montées sans difficulté dans le train qui les attendait.