Un jour dans le 13e

 paris-treizieme.fr — L’école de la rue de Patay

À l’américaine

L’Éclair — 16 août 1897

Dans le treizième arrondissement. — L’école de la rue de Patay. — Une maison qui roule — Un « meuble » de cinq cent mille kilos — Interview de l’architecte. — Les procédés d’exécution. — L’œil de l’étranger

Les habitants du treizième arrondissement de Paris qui passaient avant-hier matin, vers dix heures, devant l'école (garçons et filles) de la rue de Patay, ne furent pas médiocrement étonnés de voir les bâtiments de cette école, lesquels occupaient neuf cents mètres carrés de terrain, par soixante mètres de longueur sur quinze mètres de profondeur, soudain déplacés et reculés d’une quinzaine de mètres.

Or, la veille encore, ils avaient vu l'école de leur quartier à sa place ordinaire, et le 2 du présent mois ils y avaient assisté à la distribution des prix à leurs enfants !

Ils avaient bien entendu dire, et depuis quelques mois déjà, qu’il était question de reconstruire l’école de la rue de Patay, devenue insuffisante pour les besoins actuels ; mais nul n'avait pu prévoir qu’il fût possible — même construite en bois comme elle était — de la reculer sans la démolir.

Dessin paru dans le Monde Illustré

Qui donc venait d’accomplir, en quelques jours, entre le 2 et le 13 août, ce prodige digne des architectes américains ? Avait-on fait venir d’outremer un « oseur » capable de ce tour d’adresse professionnelle ?... Nullement. L’auteur de cet audacieux travail n’est autre que M. Menjot de Dammartin, architecte en chef de la Ville de Paris. Nous avons eu la bonne fortune de le rencontrer chez lui hier matin, et il a bien voulu nous expliquer les motifs de ce « transport d’immeuble » — deux mots qui ne jureront plus à côté l'un de l’autre — et les procédés qu’il a employés pour en venir à bout sans un accident, sans un déplacement d’objet à l’intérieur du bâtiment.

Chez M. Menjot de Dammartin

Nous trouvons le savant architecte très occupé de son départ, qui doit avoir lieu le soir même, pour la campagne. C’est un homme dans toute la force de l’âge, à peine grisonnant, l’œil très vif et l’air affable.

— Je n'attendais, nous dit-il, que la réussite de cette entreprise, au sujet de laquelle vous venez me voir. Ces sortes de transports se sont faits plusieurs fois en Amérique ; mais c’est nouveau en France ; et, si bien secondé que je fusse par un entrepreneur, M. Poirier, et par M. Guinette, à qui j’avais confié la surveillance des travaux, j’étais nécessaire ici jusqu’à la dernière minute et ne pouvais songer à m’absenter. Maintenant je vais aller me reposer et respirer un peu.

— Comment avez-vous été amené à concevoir un pareil projet ?

— L’école de la rue de Patay, nous explique alors M. de Dammartin, était devenue insuffisante, comme toutes celles que l’on a dû construire précipitamment en bois, il y a une vingtaine d’années, pour les débuts de l'instruction obligatoire. On avait donc décidé de le reconstruire ; mais il fallait quelle le fût au lieu même où elle était établie... Les enfants (filles et garçons) allaient donc se trouver sans école, durant tout le temps de la reconstruction. Nous nous étions vus, ailleurs, en même situation ; mais nous avions, alors, pu réinstaller l'école, à grands frais, il est vrai, et assez incomplètement, dans des bâtiments loués à cet effet. Or le souvenir de bien des inconvénients rencontrés m'était resté de ce système : et en outre on avait eu beau chercher dans les environs de la rue de Patay des locaux de nature à pouvoir être appropriés au service d'une école..., on n'avait rien trouvé. J'eus alors cette idée de reculer l’école en bois existante, dont les services continueraient de fonctionner tandis que nous construirions sa remplaçante.

— C'était vraiment osé !

— C’est ce qui me fut répondu tout d’abord, lorsque je soumis mon projet à la Ville. L’école en bois s’étend sur soixante mètres de longueur et sur quinze mètres de profondeur, elle est élevée au-dessus du sol d’un étage, outre le, rez-de-chaussée, et surmontée de petits combles ; nous estimions que son poids pouvait être de cinq cent mille kilos, et cette supposition s’est trouvée justifiée au cours des travaux. Il s’agissait donc d’un gros poids et d’un fort cube : on pouvait donc être effrayé. Mais, lorsque j’eus démontré à ces messieurs, calculs en main, que mon projet était réalisable, ils l'ont adopté ; et vous voyez que personne n'a lieu d'en avoir du regret maintenant.

On avait décidé d’attendre les vacances.

Le 2 août a eu lieu la distribution des prix ; le 3, j’avais vingt-cinq ouvriers sur le chantier, et les travaux se sont terminés le 13, avec quarante-cinq ouvriers : le nombre de ces derniers s'était naturellement accru au fur et à mesure des besoins. À sept heures du matin, le 13, le déplacement du bâtiment commençait ; à dix heures, il était achevé : l’école en bois de la rue de Patay était établie quinze mètres en arrière de son précèdent emplacement, et tous les services normaux, pédagogiques et autres y fonctionneront sans interruption jusqu’au jour où nous inaugurerons l’école neuve en pierre que l’on a décidé de construire pour remplacer l'ancienne.

— Vous avez donc scié dans la terre même tous les bois par lesquels le bâtiment se rattachait au sol.

—Non. Telle avait été mon intention d’abord, mais depuis vingt ans ces bois s’étaient pourris sur bien des points, dans leur contact avec la terre. J'ai voulu ne déplacer que la partie saine, solide, afin de ne pas risquer quelque accident qui n’eût pas été de mon fait et eût cependant compromis l’entreprise On a scié au-dessus du plancher du rez-de-chaussée, en ayant soin de ne rien oublier, et l'on a laissé le plancher intact. Ensuite toutes les parties du bâtiment ont été boulonnées par la base sur d’énormes pièces de bois, jointes ensuite entre elles : je me suis attaché, en un mot, à ce que l’ensemble ne fit qu’un bloc, une sorte de gros meuble...

— Vous rapetissez votre entreprise ! nous écrivâmes-nous malgré nous.

— Oui, je rappetisse peut-être un peu les choses par ce mot de « meuble » ; mais c’est pourtant cela : il fallait que cet énorme cube, qui n'était plus consolidé par son attache avec le plancher, fut consolidé et unifié autrement, au point de ne pouvoir pas se désagréger... à moins d'une secousse que j’espérais bien lui éviter. Mes pièces de bois rigoureusement reliées au bâtiment et entre elles ont suffi pour cela, et ce sont elles qui ont ensuite roulé sur les cent quarante roules (nous comprenons qui- ce mot technique « roules » veut dire « rouleaux »), disposées pour recevoir le bâtiment tout comme une colossale pierre de taille déplacée par des maçons.

— Mais vos roules n'étaient sans doute pas placés à même le terrain ?

— Non, certes ! Je leur avait fait un chemin, une voie, avec de gros madriers, et c'est sur ces longrines, qui, elles, demeuraient fixes, que tout le système se déplaçait par roulement au moyen d'une traction lente par trois amarres disposées au mieux après reconnaissance du centre de gravité.

— Vous deviez disposer, pour cela, d’une force énorme en chevaux-vapeur ?

— Pas autant que vous paraissez le croire, et pas autant peut-être, ajoute M. Menjot de Dammartin en souriant, que je l'eusse voulu ; mais enfin, tout est bien, puisque la force employée a suffi.

— Vous deviez craindre à tout moment une secousse ?

— Sans doute. Et le pire, c’est qu’il s’en est produit quelques-unes. Voici comment. Ce mouvement a été, d'une façon générale, de huit centimètres par minute, mais il n’a pu être uniforme, comme je l’eusse désiré : les câbles — malgré le jeu des moufles — avaient des excès de tension, par instants, surtout après les arrêts nécessités par la surveillance des roules... excès que leur élasticité seule empêchait d’amener leur rupture ; et, lorsque cette élasticité produirait enfin son effet, le bâtiment alors, à mon grand effroi, avançait presque en une saccade d'un centimètre ou deux. — Néanmoins, conclut le savant architecte, rien ne s’est produit, même en petit, de ce que l’on pouvait craindre : toutes les bibliothèques, tous les poêles, et, comme on l’a dit, toutes les pendules, tout le mobilier en un mot, même le plus fragile, est resté intact.

— C'est superbe !

— C'est évidemment un succès ! nous répondit notre aimable interlocuteur, mais d’un ton soudain assombri.

Le conseiller architecte

Nous nous étions levé pour prendre congé.

— Je viens de penser, murmura M. Menjot de Dammartin au soin avec lequel certains peuples se tiennent au courant de tout ce qui se passe chez leurs voisins. Au cours de nos travaux d'avant-hier, durant la translation même de l'école, un monsieur se présenta, porteur d’un appareil photographique à l’aide duquel il nota toutes les phases de l’opération ; et sa carte, qu’il m’avait fait passer, portai son nom avec ce titre : « Conseiller architecte attaché à l’ambassade d’Allemagne à Paris ! »

Nous serrâmes la main qui nous était tendue, et nous descendîmes l’escalier, préoccupé nous-même. Quand un architecte exécute quelque travail exceptionnel à l’étranger, se trouve-t-il là un Français pour s’en rende compte ?

Le déplacement de l'école


Sur la rue de Patay

Historique

La rue de Patay (695 mètres, entre le boulevard Masséna, et la rue de Domrémy, 25) fut ouverte par arrêté préfectoral du 21 novembre 1855, sous le nom de boulevard de Vitry. Elle faisait alos partie de la commune d'Ivry.

Par décret du 2 octobre 1865, elle reçut sa dénomination actuelle, à cause du voisinage de la place Jeanne-d'Arc, et en mémoire de la victoire que Jeanne remporta sur les Anglais de Talbot en 1429. (Petite histoire des rues de Paris, 1913)

En lien avec la rue de Patay

Faits-divers

Saviez-vous que... ?

La rue du Banquier, ancienne rue, doit son nom au banquier Patouillet qui avait déjà donné son nom au territoire compris entre la rive droite de la Bièvre et les terres de St-Marcel sur le chemin d'Ivry. (Clos Patouillet.)

*
*     *

En 1892, Mesdemoiselles Dufrène, disposant de hautes références, donnaient des leçons d'italien au 27 de l'avenue des Gobelins.

*
*     *

En 1911, selon Le Gaulois, on comptait onze ruelles dans Paris dont trois dans le treizième arrondissement : la ruelle des Gobelins, la ruelle des Kroumirs et la ruelle des Reculettes.

*
*     *

En janvier 1903, le quotidien Le Français s’étonnait que des rues de Paris étaient encore éclairées par des quinquets et signalait que M. Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche, avait déposé une proposition pour demander l'éclairage au gaz de la rue Vergniaud, voie reliant le boulevard d’Italie à la rue de Tolbiac, à peine praticable dès la tombée de la nuit, en raison de l’obscurité qui y régnait. Les six lampes à huile qui s'y trouvaient, ne donnaient en effet qu’un faible éclat et de nombreux accidents se produisaient journellement par suite du manque de lumière.
La dépense était évaluée à deux mille six cent deux francs.

L'image du jour

Panorama vers l'ouest sur la rue de Tolbiac

La vue est prise depuis un des clochers de l'église Saint-Anne. La première rue à droite est la rue Martin-Bernard.