Un jour dans le 13e

 Terrible orage à Paris - 29 mai 1901

Terrible orage à Paris

Le Petit-Journal — 30 mai 1901

Le temps qui, depuis le matin, était, hier, très chaud et devenu vers midi tellement lourd et orageux que l'air était presque irrespirable. On ne voyait que passants s'essuyant le front avec la lassitude et les cochers, dont certains, du reste, avaient eu soin depuis deux ou trois jours, de protéger la tête de leurs chevaux avec des chapeaux de paille, mode fort rationnelle qui s'est acclimatée à Paris depuis deux ou trois étés, avaient peiné à faire avancer leurs bêtes. Bref, on sentait l’orage proche.

Il a éclaté vers deux heures et quart avec une violence inouïe. Une pluie torrentielle qui fouettait, de l'Ouest, s'est abattue soudain sur Paris, tandis que le ciel se couvrait de nuages sombres. En un clin d'œil, les rues littéralement inondées, ont été désertées et tous les promeneurs, dans un sauve-qui-peut général, ont cherché au plus vite un abri sous les portes cochères ou sous les marquises vitrées des magasins. On a vu d’autre part le désarroi causé par l’orage à l’exposition d’horticulture des Tuileries.

Le tonnerre gronde et les éclairs se succédaient presque sans interruption, atteignant leur maximum de fréquence et d'intensité vers trois heures.

Ajoutons que les trombes d'eau qui transforment le capital en vrai marécage ont été, pendant un certain temps, accompagnés de grêle violente dont les agriculteurs, ont dû, dans la banlieue de Paris, ressentir cruellement les désastreux effets, d'autant que certains grêlons atteignent le volume d'œufs de pigeons et tombaient avec une force singulière.

Inondations et accidents

À Paris même, les dégâts ont été très sérieux. Les torrents d’eau de pluie ont provoqué ici, ou là des inondations partielles, surtout dans des caves. On signalait, dès les premiers moments, que les caves du n° 86, rue de Rivoli, du n° 64 de la rue Ledru-Rollin, du 36, rue Saint-Antoine, payaient été envahies par les eaux. De même l'immeuble qui fait le coin de la place de Rennes et du boulevard Montparnasse, côté excentrique, a souffert par suite de la rupture d'une conduite d'égout. Aux Halles centrales, l'eau a envahi les pavillons et une grande quantité, de denrées ont été perdues.

À l'angle de la rue Broca, rue Mouffetard, les égouts ont déversé leur trop-plein sur la chaussée. Les pompiers de la caserne de Poissy ont dû travailler énergiquement pour enrayer le flot toujours montant, qui leur-venait jusqu'à la ceinture.

Dans le sixième arrondissement les pompiers ont été harcelés de trois heures à quatre heures par les appels de boutiquiers envahis par l'eau qui refluait des égouts et des ruisseaux transformés, en torrents. Au numéro 1 de la rue du Départ, dans la rue de Tournon, et dans la rue du Vieux-Colombier, les pompes à vapeur ont été envoyées au triple galop devant des caves inondées par une couche d'eau qui dépassait un mètre de hauteur.

L’orage a causé quelques dégâts sur la butte Montmartre ; plusieurs arbrisseaux du square ont été déracinés par la violence du vent et un léger affaissement de terrain s’est produit du côté de la rue Ronsard. Six mètres cubes de terre environ ont glissé dans une allée.

La nouvelle lignée d'Orléans s'est trouvée obstruée par l'eau à la gare du pont Saint-Michel, par suite de la rupture d’une canalisation. La circulation des trains a dû être interrompue pendant le temps nécessaire à l’écoulement de l’eau.

Dans les rues Zacharie, Gît-le-Cœur, du Four Saint-Dominique, Saint-André-des-Arts, de Savoie, de Babylone, du Luxembourg, etc., accidents encore et inondations de caves. Le lycée Fénelon a été particulièrement atteint.

Aussi les pompiers étaient-ils, hier après-midi, mobilisés de toutes parts, appelés sans cesse par les avertisseurs des rues qu'on brisait en masse.

C’était même un spectacle peu banal et point trop rassurant, en somme, que ces continuels « départs » de pompes, qui sillonnaient Paris en tous sens.

Quelques accidents de personnes se sont produits mais aucun n’a présenté de gravité.

Deux ouvriers égoutiers, qui travaillaient dans une conduite de la rue du Vieux-Colombier, ont été surpris par l'orage. L'un d'eux réussit à se sauver. On fut longtemps inquiet pour son compagnon dont on resta sans nouvelles pendant toute la durée de l'averse. La pluie calmée, on explora toutes les bouches d’égout des environs et on finit par découvrir le malheureux ouvrier, à demi asphyxié, par la bouche située à l'intersection de la rue de Rennes et de la rue Cassette.

On le fit remonter sans autre dommage. Il déclara qu'il était parvenu à se garer à temps, mais que jamais il n'avait « vu la mort d'aussi près ».

L'inondation des égouts a eu pour conséquence de rendre momentanément inutilisables un certain nombre de lignes téléphoniques d'abonnés, notamment dans les 16e et 17e arrondissements.

Quelques lignes suburbaines à l'Ouest de Paris sont également inondées dans les égouts.

Le rétablissement des communications sera entrepris dès que les ouvriers pourront approcher des câbles.

Mais l'air comprimé que l'administration utilise en temps ordinaire pour dessécher les conducteurs dans les tubes qui les renferment fait défaut, par suite de la rupture des conduites maîtresses de la-Compagnie.

Dans ces conditions défavorables, il est à craindre que malgré les efforts des équipes, certains donnés soient privés pendant un jour ou deux de l'usage du téléphone.

Un bateau, la Montagne, chargé de 150 stères de bois appartenant à M. Boizanté, demeurant à Clamecy (Nièvre), qui se trouvait amarré à l'entrée de l'écluse du pont Morland, a coulé au plus fort de la tempête.

Explosion dans un égout

Vers la fin de l’orage, à quatre heures et quart, en face du n°34 de la rue du Louvre, une conduite d'air comprimé s’est rompue sous la pression de l’eau qui bouillonnait dans un égout.

L'échappement du gaz a été si violent qu'une plaque d’égout et un peu plus loin une dalle du trottoir ont été lancées à une hauteur de deux mètres, laissant passage à des jets d'eau formidables.

Cet accident a eu pour conséquence d’immobiliser les moteurs de certaines maisons du quartier qui emploient l'air comprimé pour leurs machines et aussi les aiguilles des horloges pneumatiques, arrêtées toutes à 4 heures 16 exactement.

En même temps, le tampon d'un tuyau cédait, également dans les sous-sols d'une fabrique voisine qui furent immédiatement inondés.

Les dégâts ont été peu considérables, mais l’inondation des sous-sols a nécessité, pendant deux heures, l’emploi de deux pompes actionnées par la vapeur.

Des accidents analogues et, heureusement sans grande importance, ont été signalé dans le même quartier.

Au Théâtre-Français

À quatre heures, on pataugeait aux abords du Théâtre-Français, dans un véritable lac.

Les bouches d’égout étant obstruées par le sable et les débris de toute sortes que les ruisseaux charriaient, l’eau envahit bientôt les trottoirs et pénétra dans les sous-sols de la maison de Molière.

Les pompiers de la caserne du Marché-Saint-Honoré, accourus en toute hâte installèrent, rue Richelieu, une pompe qui fut aussitôt mise en action.

M. Peschard, commissaire de police, organisa un service d'ordre pour empêcher les curieux, d'approcher.

Après deux heures d'efforts, il ne restait plus, dans les caves que quelques centimètres d'eau.

Fort heureusement les décors et les accessoires du théâtre, qui se trouvaient déposés dans le sous-sol, ont pu être protégés, car, l'eau pompée pour ainsi dire au fur et à mesure, n’est pas arrivée jusqu'à eux.

Les dégâts matériels sont, du reste, insignifiants.

Le débordement de la Bièvre

Les conséquences .de l'orage se sont fait sentir façon particulièrement désastreuse chez un grand nombre de mégissiers riverains de la Bièvre.

La petite rivière, couverte sur la plus grande partie de son parcours dans Paris, coule à ciel ouvert sur une longueur d'environ cent cinquante mètres, sortant de la rue Daviel parallèlement à la rue de la Glacière pour rentrer sous terre par une bouche de canalisation à peine ouverte de 1 mètre de diamètre.

Grossie par la trombe d'eau qui est tombée hier, la rivière est devenue torrent et sortant en tourbillons terribles par la solution de continuité de canalisation, elle est venue en quelques instants, envahir toutes les peausseries riveraines du cours à ciel ouvert.

L'eau, en un quart d'heure, atteignait quatre mètres de hauteur, et les cris de : « Sauve qui peut ! » se sont confondus aussitôt avec les appels de « Au secours ! » poussés par les ouvriers et ouvrières bloqués par les eaux.

On n'avait pas le temps d'appeler les pompiers, le danger étant trop pressant ! chacun dans le quartier se fît sauveteur et l'on commença à porter secours aux plus menacés.

Près de la rue Daviel, sur la rive droite de la Bièvre, se trouve une vieille demeure seigneuriale appelée la « Folie de la Maison-Blanche ». Une famille entière habite l'immeuble qui au milieu de ses rides laisse encore deviner de très beaux restes architecturaux. L'eau envahissait le premier étage, lorsqu'une échelle suffisamment longue permit de sauver le chef de famille, sa femme, ses deux filles et son fils, tandis que, sur l'autre rive, on brisait une porte vitrée, par laquelle se sauvaient quarante femmes employées chez MM. Picard, Goulet, mégissiers. Les patrons perdaient 50,000 francs de peaux en levées par les eaux, et les ouvrières qui revêtaient des vêtements de travail, avant de commencer leur ouvrage et mettent leurs robes de ville dans un vestiaire commun voyaient leurs effets emportés par les eaux.

Le sinistre et les dégâts étaient déjà suffisamment graves, lorsque la chute d'un mur de l'école de la rue Daviel, mur de 50 centimètres d'épaisseur, est venu les aggraver encore.

Les écoles de la rue Daviel (vue en direction de la rue de la Glacière

En effet, la chute de ce mur a entraîné la démolition d'une succession de hangars qui, solidaires les uns des autres par leur construction, se sont successivement écroulés, emportés par Ia pression de l'eau et sous le poids du hangar voisin qui s'écroulait. C'est ainsi que les marchandises, les matières premières contenues dans d'immenses cuves, ont été entièrement submergées, causant aux propriétaires-riverains des pertes de 30,000 à 50,000 francs.

Autre conséquence : près de quinze cents ouvriers et ouvrières vont se trouver sans travail par suite de la perte des peaux entraînées ou détériorées par les eaux ; de plus, presque toutes les mégisseries, de constructions ajourées et légères, même les moins éprouvées, devront être vérifiées au point de vue de leur solidité ; quelques-unes même ont dû être soutenues par des étais, placés d'urgence dans la soirée.

Il n'y a eu heureusement grâce à la promptitude des secours, aucun accident sérieux de personnes à déplorer. Le cheval d'un petit loueur de voiture, dont l'écurie se trouvait sur les bords de la rivière, a été trouvé noyé par son propriétaire.

Le conseiller municipal du quartier va-demander au conseil municipal de voter d’urgence certaine somme pour venir en aide au grand nombre d'ouvriers peaussiers victimes d'un chômage dont on ne peut encore fixer la durée.

L'orage d'hier a du reste sévi d'une façon particulièrement violente dans le treizième arrondissement. Une vieille maison rue de la Santé, 80, et un immeuble, 151, avenue d'Italie, ont dû être étayés, tant étaient profondes les lézardes occasionnées par les eaux.

Avenue d'Italie, 101, l’inondation devenait tellement menaçante que les pompiers ont été obligés de faire évacuer la maison à l'aide d'échelles de sauvetage.

Enfin, les caves de la halle aux cuirs, situées non loin de la Bièvre, ont été envahies par les eaux qui ont absolument détérioré les marchandises qu'elles contenaient.

Au jardin du Luxembourg

La pépinière du jardin du Luxembourg a particulièrement souffert de la grêle. Les vignes et les poiriers, littéralement mitraillés, ont vu diminuer en un quart d’heure leurs amples promesses de fruits. Cependant on ne pourra guère évaluer tous les dégâts que dans quelques jours, lorsque les petites poires, meurtries par les grêlons, commenceront à noircir et à dépérir.

Cependant les jardiniers se réjouissent dans leur malheur parce que la chute de la grêle n'a pas eu lieu « à sec » ; l'abondante ondée qui accompagnait les projectiles célestes en amortissait la brutalité. Fort heureusement, toutes les plantations de la belle, saison n'étaient pas encore faites dans le superbe jardin de la rive gauche...

Après la tourmente

À l’observatoire de la tour Saint-Jacques, on affirme que cet orage était prévu mais que sa violence n’aurait pu être prédite. C’est un des plus formidables qu’on ait vu à Paris ; selon toute probabilité, d’autres orages vont encore se produire.

Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, la trombe de grêle et d’eau n’a pas allégé l’atmosphère lourde de la journée. Une sorte de buée tiède, suffocante comme une vapeur de lessive s’est élevée du sol et la chaleur est restée aussi grande.



Saviez-vous que... ?

Le rue Esquirol s'appela Grande-Rue-d'Austerlitz. Son nom actuel lui fut donné en 1864 en souvenir de Dominique Esquirol, médecin aliéniste (1773-1840).

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Cinq ponts relient le XIIIème et le XIIème arrondissement, à savoir : pont National, pont de Tolbiac, pont de Bercy, pont Charles de Gaulle, pont d'Austerlitz auxquels on peut ajouter le viaduc de la ligne 5 du métropolitain.

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C'est sur l'insistance d'Émile Deslandres représentant du 13e arrondissement que le conseil municipal de Paris accepta de conserver le nom cinq fois séculaire des Reculettes à la rue résultant de l'élargissement de cette ruelle si pittoresque.

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Dans son numéro du 6 octobre 1935, L’Intransigeant écrivait :
« Nous avons signalé le mauvais état d'entretien de la partie de la rue Watt, sous le pont du chemin de fer.
La compagnie d’Orléans, chargée du nettoiement en cet endroit, a décidé de fermer très prochainement, par des écrans en tôle, les intervalles entre les voies ferrées qui sont actuellement fermés par un simple grillage insuffisant pour éviter la chute de poussières et même de détritus sur la chaussée et les trottoirs de cette rue. »

L'image du jour

La place Nationale vue vers la rue de Tolbiac

Initialement, la rue Nationale allait uniquement du bd de la Gare (Vincent-Auriol) à la rue Baudricourt (alors chemin du Bac) traversant ainsi le hameau des Deux-Moulins, partie de la commune d'Ivry. L'axe principal était la rue du Château-des-Rentiers.
La décision de prolonger la rue Nationale vers la porte d'Ivry intervint au début des années 1860. C'est cette prolongation qui est l'origine de la forme étrange que revêt la place Nationale.