L'image du jour
... et face à la Raffinerie Say, le tout avant la construction de la ligne 6 du métro.
Les rails que l'on devine au premier plan, en bas à droite, sont ceux du tramway venant de la rue Jeanne-d'Arc.
UNE ÉVOCATION DU
13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Littérature
PREMIÈRE PARTIE
Histoire de trois enfants
1
Un père improvisé
Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait.
Dans l'agitation confuse du débarquement, dans la bousculade fiévreuse de la distribution des bagages, un petit groupe de trois personnes — une vieille femme et deux enfants — tournoyait presque au hasard, au gré des remous de la foule, sans direction apparente, visiblement désorienté, perdu.
La femme était vieille mais droite encore, de forte encolure, un peu massive, gauche d'allures et l'air très fatiguée du voyage. L'aînée des enfants pouvait avoir treize à quatorze ans ; la plus jeune huit ou neuf. La femme tenait à la main deux petits bouts de papier et regardait autour d'elle avec une expression marquée de désappointement et d'inquiétude.
La foule s'écoulait et la bonne femme donnait des signes de plus en plus visibles d'embarras et d'ennui. Pourtant elle se fit délivrer sa malle, appela un douanier.
— Qu'y a-t-il là-dedans ? fit le gabelou.
— Des vêtements, des papiers, toute notre fortune: quoi ! et pas de contrebande allez !
Le douanier soupesa la petite malle, puis la marqua d'un trait de craie.
— Restez-là dit la vieille aux petites filles. Je vais chercher une voiture.
Comme elle sortait, un homme en costume de garçon d'hôtel, avec une calotte sur la tête, une serviette roulée autour des reins, s'approcha d'elle.
— Vous ne trouvez pas les gens qui devaient vous attendre ? fit-il avec un accent provençal très prononcé.
— En effet, répondit la femme… et ça me contrarie bien.
— Mais où allez-vous, madame ? Est-ce bien loin ?
— Je ne sais pas… Voici l'adresse.
— Oh ! c'est tout près, fit l'homme.
C'est la première fois que vous venez à Paris, alors ?
— Oui, la première fois. Mais… où sont les voitures, ici ?
— Les voitures ? Il n'y en a plus.
Seulement si vous voulez, je puis vous conduire. Il n'y a pas pour dix minutes de chemin.
— Mais… ma malle.
— Si elle n'est pas trop lourde, je la porterai bien. Ça sera toujours moins cher qu'une voiture.
― Je suis bien un peu fatiguée ; mais j'irai tout de même. La tête me tourne un peu de tout ce vacarme ; la marche et le grand air me feront du bien. Et toi, Miette ? tu n'es pas trop fatiguée pour marcher un peu ?
— Non, maman Coutard. Mais, dis, est-ce que nous serons bientôt arrivées ?
— Oui, mon enfant, dans dix minutes. Comme à Bordeaux, de la gare chez nous.
— Oh! bien, alors, j'irai. Viens, Julie.
Et Miette prit la main de Julie qui n'avait rien dit et qui, les bras ballants, semblait ne faire attention à rien.
L'homme prit la malle sur son dos et se mit en route. En sortant de la gare il prit le boulevard de l'Hôpital.
La ligne de tramways qui dessert aujourd'hui cette voie n'existait pas encore. Entre les deux murs nus de la Salpêtrière et du Jardin des Plantes, il y avait là, de la place Walhubert à la rue Jenner, un bon kilomètre de route déserte, sans une maison, sans un passant. Les quelques becs de gaz qui étaient censés éclairer cette solitude ne faisaient qu'en signaler l'étendue et qu'en augmenter encore l'obscurité.
― Ne marchez pas si vite, dit la bonne femme au commissionnaire. Les enfants ne peuvent pas vous suivre ; ni moi non plus, du reste, j'ai les jambes brisées.
— Comme c'est noir ! maman Coutard, fit la petite Miette.
Et il n'y a pas de maison. C'est pas beau, Paris.
Malgré la recommandation de maman Coutard, l'homme allongeait le pas.
— Mais attendez-nous donc ! cria la mère Coutard d'une voix impatiente. Nous ne pouvons pas vous tenir pied.
— C'est que la malle est lourde fit l'homme qui, pourtant s'arrêta, non sans hésitation.
— Eh bien ! posez-la un moment. Ça me donnera le temps de souffler. Je ne sais pas ce que j'ai, moi, mais je n'en puis plus.
Et la pauvre femme, en effet, toute haletante, fit trois ou quatre pas, comme au hasard, battant l'air de ses bras.
— Ah ! Mais ! ah ! mais la tête me tourne. Ah ! je n'y vois plus.
Et, trébuchant sur un tas de cailloux au bord de la route, elle s'y laissa tomber, lourdement.
— Ah ! je me sens mal… je ne puis plus. Ah !... Miette… Julie... Ah !...
Elle se tordit dans une convulsion et glissa sur les pierres.
— Maman Coutard, oh ! maman ! qu'avez-vous ? dites ! répondez !...
Pas de réponse. Un râle sourd, des mouvements convulsifs, un trépignement saccada. Miette, ses bras jetés au cou de la malade, la couvrait de baisers et l'appelait avec désespoir.
L'homme ne bougeait pas. Tout à coup, une voix jeune et vibrante s'entendit à quelque distance. Elle chantait :
…Ça va bien quand il fait beau, Mais s'il tombe de la pluie…
― Au secours ! s'écria Miette… Au secours !
L'homme, rapidement, jeta la malle sur son épaule et partit, pressant le pas, courant.
— Hé, monsieur, attendez-nous ! Notre malle !... au secours ! criait Miette.
L'homme disparut au coin de la rue Poliveau. Miette, éplorée, revint à la pauvre femme, qui ne bougeait plus.
— Oh ! mon Dieu !... mon Dieu !... maman Coutard, qu'avez-vous ? Pourquoi ne me répondez-vous pas ?
Des pas rapides s'entendirent. Une ombre s'allongea sur la route
— Qu'est-ce qui se passe donc ? fit la voix qui chantait tout à l'heure.
On aurait trouvé difficilement sur le pavé de Paris un gaillard plus content de lui-même et plus en belle humeur que le jeune Philogone Quatretemps, dit « Sorbonne », dit « Furet » qui, le 3 octobre 1886, vers les onze heures du soir, arpentait d'un pas délibéré le boulevard de l'Hôpital.
L'heureux propriétaire de ces appellations peu communes se livrait, tout en marchant, à des calculs étranges, ponctués de gestes exubérants :
— Va bien, les affaires, cette semaine, va bien ! Dix francs de figuration, trois francs cinquante de journaux, cinq soixante d'œufs de fourmi ça fait dix-neuf dix. Deux bottes de centaurée à l'herboriste, vingt sous. Trois bouquets à porter,—avec poulet — un cinquante. Vingt-six francs de chiens trouvés, ça fait vingt-huit cinquante. Plus 19,10, quarante-sept soixante. Trois francs de manifestation et un coup de canne sur l'épaule ça fait cinquante francs soixante. Le coup de canne ayant été restitué n'entre pas en compte. Cinquante francs crénom ! J'deviens capitaliste !
Ce compte dont les articles bizarres auraient surpris un teneur de livre bourgeois, résumait, à quelques lacunes près, les nombreuses professions auxquelles s'adonnait, non sans succès, le jeune Philogone — plus communément Furet — artiste dramatique, naturaliste, camelot, commissionnaire et, surtout, gamin de Paris.
Le total de ce compte paraissait réjouir considérablement le calculateur. Son pas élastique s'allégeait encore, ses bras esquissaient avec une prestesse endiablée des moulinets pleins d'enthousiasme et, d'une voix de fausset mordante, il fredonnait des bouts de refrain empruntés au répertoire le plus moderne de l'opérette et du café-concert.
Tout à coup, au milieu d'un couplet le chanteur s’arrêta court, immobile tendant l'oreille. Il lui semblait avoir entendu tout près un gémissement une plainte, un faible cri.
Le 13e en littérature
De la ruelle des Reculettes au passage Moret via la ruelle des Gobelins
par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay
Il était arrivé à l'angle pointu formé par la manufacture des Gobelins où la voie bifurquait ; à droite la rue Croulebarbe continuait, à gauche c'était la ruelle des Gobelins.
(1912)
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La Butte-aux-Cailles
par
Charles de Vitis
— Voyons d’abord du côté de la Butte-aux-Cailles, pour tâcher de trouver un logement.
Jacques connaissait l’endroit pour y être venu avec Fifine, une fois ou deux, du temps qu’il vivait chez ses parents.
C’était un quartier misérable situé à proximité de la place et du boulevard d’Italie ; on y arrivait par la rue du Moulin-des-Prés.
(1899)
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L'entrée de la Bièvre dans Paris en 1859
par
Adolphe Favre
Effectivement, le lendemain de la mort du marguiller, la police retirait un cadavre de la Bièvre, au point où elle entre à Paris ; ce cadavre, c’était celui d’Armand Lambert...
(1859)
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La rue du Banquier
par
Paul Féval
Le fiacre tournait court l'angle de la rue du Banquier.
Cela s'appelle une rue, mais c'est en réalité une manière de chemin pratiqué entre des murs de jardins. Il n'y a pas une âme en plein jour.
(1856)
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La Barrière des Deux-Moulins
par
Turpin de Sansay
En suivant les rues Saint-Victor, du Marché-aux-Chevaux et de Campo-Formio, on arrivait à la barrière des Deux-Moulins, située de l'autre côté du boulevard extérieur.
(1861)
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La Barrière des Deux-Moulins
par
Jean Loyseau
Allez un dimanche, ou , même , un lundi soir , du côté de l'ancienne barrière des Deux-Moulins : regardez, respirez et écoutez, si vous en êtes capables , tout ce qui frappe à la porte de vos cinq sens : votre odorat percevra je ne sais quelle odeur nauséabonde et méphitique, dans laquelle se mêlent indistinctement la fumée de tabac ; les exhalaisons du cabaret, qui forment , à elles seules, tout un arsenal d'infection...
(1862)
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Le boulevard Saint-Marcel
par
Montfermeil
A travers Paris jusqu'à la rue Coypel...
(1900)
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Saviez-vous que... ?
En 1920, on pouvait trouver un avertisseur public d''incendie à l'angle des rues Watt et du Chevaleret ainsi qu'au 31 quai de la Gare.
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Le XIIIème arondissement comptait 72.203 habitants en 1876 et 92.221 en 1881 soit une augmentation de 20.018 habitants. Paris, en totalité en comptait 1.988.806 et 2.225.910, ces mêmes années.
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En 1929, le 13e comptait 11 cinémas : Le Bobillot, le Cinéma des Bosquets, le Clisson-Palace, l'Éden des Gobelins, le Cinéma des Familles, le Jeanne d'Arc, le cinéma Moderne, le Palais des Gobelins, le Royal-Cinéma, le Sainte-Anne et le Saint-Marcel.
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En janvier 1903, le quotidien Le Français s’étonnait que des rues de Paris étaient encore éclairées par des quinquets et signalait que M. Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche, avait déposé une proposition pour demander l'éclairage au gaz de la rue Vergniaud, voie reliant le boulevard d’Italie à la rue de Tolbiac, à peine praticable dès la tombée de la nuit, en raison de l’obscurité qui y régnait. Les six lampes à huile qui s'y trouvaient, ne donnaient en effet qu’un faible éclat et de nombreux accidents se produisaient journellement par suite du manque de lumière.
La dépense était évaluée à deux mille six cent deux francs.
... et face à la Raffinerie Say, le tout avant la construction de la ligne 6 du métro.
Les rails que l'on devine au premier plan, en bas à droite, sont ceux du tramway venant de la rue Jeanne-d'Arc.