Le crime de la rue Tiers.
Le Matin — 15 avril 1889
Le 10 mars 1889, une fille soumise nommée Marguerite Dubois, âgée de trente-sept ans, était trouvée assassinée dans son logement, 18, rue Payenne.
L'inspecteur de la sûreté Barbaste fut chargé, ainsi que plusieurs de ses collègues, de rechercher l’assassin.
Il établit que l’auteur de ce crime n’était autre qu’un nommé Sauer, et il obtint, à force de patience et de ruses, les aveux complets de l’assassin, dans la journée du 19 mars, c’est-à-dire 24 heures après le crime.
Sauer fut condamné par la Cour d’assises de la Seine, le 30 mai 1889, aux travaux forcés à perpétuité.
("La police de sûreté en 1889 " par Horace Valbel)
Un pendant au crime de la rue Payenne
Marguerite Dubois et Marie Wilhem, l'assassinée d'hier, appartenaient toutes deux au monde de la prostitution officielle ; toutes deux étaient munies de ce petit carton grisâtre si obligeamment délivré par la préfecture de police et sur lequel les médecins du dispensaire apposent tous les quinze jours leur visa règlementaire.
La première était une fille sobre et rangée, exerçant sa profession en petite bourgeoise tranquille ; la seconde, au contraire, était une ivrognesse fieffée, et se vautrait dans les plus basses et les plus crapuleuses débauches.
Marguerite Dubois a été tuée d'un coup de couteau, Marie Wilhem, elle, a été tout simplement étranglée.
Si l'auteur de ce nouveau crime n'est pas un personnage intéressant, il faut avouer que la victime n'est pas non plus des plus sympathiques.
Voici dans quelles circonstances le crime a été découvert :
Dimanche, vers sept heures du matin, un nommé Pierron, ouvrier corroyeur, demeurant à Gentilly, se présentait dans un hôtel meublé, au numéro 15 de la rue Tiers, dans le quartier de la Maison-Blanche, et demandait à la logeuse, Mme Fric, si l'un de ses amis, un sieur B. n'avait pas par hasard passé la nuit dans cet établissement, en compagnie d'une fille qu'il avait racolée la veille au soir sur l'avenue des Gobelins. Mme Fric monta à la chambre que le camarade du sieur Pierron avait effectivement occupée pendant la nuit, mais cet individu était parti de très bonne heure, laissant au lit la fille qui l'avait amené dans cet hôtel.
Comme la logeuse et le corroyeur passaient devant la chambre occupée habituellement par une autre fille soumise, Victorine-Marie Wilhem, Mme Fric fut très étonnée de voir légèrement entrebâillée la porte de cette dernière. Ils entrèrent dans la chambre et restèrent tous deux muets de stupeur et d'effroi en apercevant la fille Wilhem étendue sur le carreau, les bras en croix, les, poings crispés, la figure violacée et ne donnant plus signe de vie, bien que le corps fût encore légèrement tiède.
Pierron et Mme Fric, croyant tout simplement à une syncope, enlevèrent le cadavre et le placèrent sur le lit.
Sur ces entrefaites, survint une voisine qui se contenta de dire philosophiquement, ne croyant pas non plus à la mort de la malheureuse :
— Laissez-la donc ; vous ne voyez donc pas qu'elle est saoule. On est bien heureux, dans cet état-là et l'on n'aime pas être culbuté.
Néanmoins, Mme Fric secoua sa locataire, la palpa, l'ausculta et finit par se convaincre qu'elle était bel et bien morte.
Grand émoi dans l'hôtel. On alla immédiatement chercher M. Debeury, commissaire de police, qui vint accompagné du docteur Mangenot. Celui-ci examina le cadavre, et constata que la fille Wilhem avait été étranglée avec les mains. Des empreintes bleuâtres à la gorge et à la nuque ne laissaient aucun doute à cet égard.
Quant au mobile du crime, on ne se l'explique pas très bien. Marie Wilhem était dans une situation des plus misérables, n'ayant pas un sou d'économies, ni un objet d'une valeur quelconque dans sa chambre. Cependant, la poche de sa robe ayant été arrachée, il semblerait que le but du meurtrier était de voler sa victime. La fille Wilhem était très connue dans le quartier sous le sobriquet de la « Chinoise » à cause de son teint olivâtre et de ses yeux fendus en amande.
Elle habitait un misérable logement situé au fond d'un corridor obscur et humide, dans un petit bâtiment n'ayant qu'un rez-de-chaussée. Son mobilier se composait d'une chaise boiteuse, d'un lit en bois, d'un buffet en bois blanc vermoulu, d'une cuvette ébréchée et d'un pot à eau sans anse. Le buffet ne renfermait qu'un cahier de papier à cigarettes.
À dix heures, M. Doppfer, juge d'instruction, Goron, chef de la sûreté, accompagné des agents Bourlet, Barbaste, Harpillard et Loew, sous la direction de l'inspecteur principal Gaillarde, se sont rendus rue Tiers, n° 15, pour procéder aux constatations judiciaires et recueillir les indices pouvant mettre la police sur les traces du coupable.
En examinant le cadavre, qui était habillé, l'inspecteur Gaillarde a trouvé dans l'un des bas de la victime sa carte de fille soumise elle avait passé sa dernière visite le 2 avril dernier.
En outre, toujours dans les bas de Marie Wilbem, le même agent a découvert une somme de trois francs en monnaie blanche. L'une de ces pièces était fausse.
Marie Wilhem était âgée de vingt-cinq ans ; son père exerce la profession de marchand de lunettes ambulant et demeure à Grenelle, rue Vandrezanne.
Elle avait subi plusieurs condamnations, dont une pour vol. Elle avait l'habitude d'empocher tout d'abord l'argent de ses clients et de se refuser ensuite à leur accorder les faveurs qu'ils avaient payées à l'avance. C'était dans l'hôtel des scènes continuelles entre Marie Wilhem et ses amants de passage.
Les agents de la sûreté sont parvenus à reconstituer une partie de l'emploi du temps de la victime dans la soirée de samedi, mais l'on ignore encore avec quel individu la fille Wilhem est rentrée. On a de bonnes raisons pour croire que l'ami du corroyeur de Gentilly, qui s'est éclipsé de l'hôtel d'une façon si précipitée, n'est peut-être pas étranger à l’affaire.
Cet individu, dont le sieur Pierron n'a pu donner l'adresse, est activement recherché. On a pu établir que Marie Wilhem est rentrée chez elle entre deux heures et trois heures du matin, après avoir bu outre mesure avec toute espèce d'individus dans un grand nombre de débits de vins du quartier.
Un voisin de la victime, le sieur P… ouvrier maçon, a déclaré au juge d'instruction avoir entendu, vers deux heures du matin, des plaintes étouffées et des cris de « Oh ! là, là ! Oh ! là, là ! » dans la chambre de la fille Wilhem.
Le cadavre a été envoyé à la Morgue, dans la soirée. L'autopsie sera faite aujourd'hui, par les soins de M. le docteur Socquet.
Le crime de la rue Tiers
(Selon les journaux, les noms et prénoms des protagonistes de cette affaire ont varié de même que l'orthographe de ceux-ci. Le choix a été fait de conserver l'orthographe retenue par les journaux reproduits.)
15 avril 1889
16 avril 1889
17 avril 1889
18 avril 1889
19 avril 1889
20 avril 1889
21 avril 1889
22 avril 1889
23 avril 1889
24 avril 1889
25 avril 1889
26 avril 1889
Postérieurement aux articles parus dans les numéros datés du 26 avril 1889, plus aucun journal ne mentionna
l'affaire, ni les noms de Marie Wilhelm, de Leroy ou de Greliche. La chronique judiciaire ne mentionna pas de passage
de quiconque devant la Cour d'assises de la Seine pour le meurtre de Marie Wilhelm. Les archives de Paris qui détiennent
les dossiers de procédures devant les assises ne mentionnent pas, dans leur inventaire, d'affaire évoquant ces faits.
Seul l'ouvrage "La police de sûreté en 1889" par Horace Valbel publié au fil de l'eau dans le quotidien
"La Petite République" et repris en volume en octobre contient, à l'occasion du panégérique consacré à l'inspecteur
Barbaste, un résumé des faits qu'il présente comme l' "affaire Leroy-Greliche". Toutefois, ce résumé ne comprend
aucun élément nouveau par rapport à ceux révélés par les journaux à la date du 26 avril. On le lira ci-dessous dans
les annexes.
M. Goron, lui-même, dans ses mémoires semble n'avoir fait aucune allusion à cette affaire.
On lira
aussi une intéressante chronique parue le 21 avril 1889, avant donc la conclusion ou plutôt l'absence de conclusion
de l'affaire, dans le quotidien Paris relative au traitement de cette affaire par la presse.