Un bal aux Deux-Moulins
Paris : ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle
par Maxime Du Camp (1875)
Chapitre XII — Les malfaiteurs
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Ce sont là des exceptions, il faut l'avouer ; aussi le monde des voleurs s'est-il porté en masse du côté des anciennes barrières, dans ces quartiers nouvellement annexés et qui semblent n'avoir encore avec l'ancien Paris qu'une attache exclusivement administrative. Là ils se réunissent dans des cabarets où ils sont certains, lorsqu'ils ne sont pas arrêtés, de pouvoir se rencontrer et se concerter pour les mauvais coups qu'ils méditent. C'est vers les barrières d'Italie, des Deux-Moulins, de Fontainebleau, du Montparnasse, du Maine, de l'École Militaire, que ces tapis-francs ouvrent leurs portes hospitalières à tous les bandits. Tel marchand de vin a ses relations établies, et de longue date, avec les braconniers, tel autre avec les casseurs de portes, tel autre avec les cambrioleurs. Il y a là échange de bons procédés, recel et indications au besoin. Il est rare que ces bouges n'aient pas plusieurs issues, car il faut toujours pouvoir s'en échapper à un moment donné ; aussi a- t -on multiplié les portes, et parfois on les a si bien dissimulées, qu'il faut quelque sagacité pour les découvrir.
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Ils [Les malfaiteurs] ont leurs cabarets, leurs cafés, leurs concerts, ils ont aussi leurs bals. Quelques-uns sont simplement comiques ; un entre autres, qui se trouve situé non loin de l'ancienne barrière des Deux-Moulins et où l'on arrive en traversant des rues si particulièrement fangeuses, qu'elles semblent n'avoir jamais été pavées, et si en dehors de toute civilisation, qu'elles sont encore éclairées par ces vieux réverbères à l'huile que quatre cordelettes suspendent entre les maisons. La salle de bal est une sorte de couloir peint en jaune ; au fond, sur une estrade, l'orchestre, composé d'un cornet à piston, d'un flageolet et d'un tambour, fait rage sans rythme ni mesure. Là, quand il manque une danseuse, on prend la cuisinière du lieu, car le bal se double d'une gargote ; la dondon se laisse faire sans trop de grimaces et fait sauter ses guenilles d'où s'échappe une intolérable odeur d'eau de vaisselle et de graillons brûlés.
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Bals de Paris, bals de barrière, cabarets, bouges et assommoirs
De par sa position géographique, le 13e arrondissement était une terre propice au développement à son voisinnage des établissements vendant des produits soumis à l'octroi. La naissance du secteur des Deux-moulins tient là son origine. Marchands de vins, salles de bal et autres s'installèrent face à Paris avant de devenir parisiens en 1860. Après la sociologie propre au 13e arrondissement a fait le reste.
Promenade à tous les bals publics de Paris, barrières et guinguettes de cette capitale (1830)
Physiologie des barrières et des musiciens de Paris par E. Destouches (1842)
Paris qui danse par Louis Bloch et Sagari (1889).
Les articles de L'Égalité (1889-1891)
Durant sa courte existence, l'éphémère quotidien socialiste L'Égalité (958 numéros entre février 1889 et octobre 1891) s'intéressa à plusieurs reprises aux bals publics de Paris et aux débits de boissons. Il republia des séries d'articles (qui y reprenait, parfois avec moins de détails des textes parus en 1885 et 1886) sous les signatures d'Emmanuel Patrick et d'Auguste Lagarde (en fait Louis-Auguste Lagarde, décédé en 1890, qui utilisait ces pseudonymes), qui entrainèrent les lecteur dans tous les coins de Paris y compris les plus infâmes du 13e arrondissement.
Les bals de Paris par Emmanuel Patrick
"Les bals publics de Paris se divisent en deux-catégories : les bals proprement dits avec orchestre, et les musettes, où il n'y a pas d'orchestre. Mais par suite de l'extension arbitraire donnée au mot musette on comprend sous cette dénomination tous les petits bals n'ayant qu'un instrument de musique, violon, harpe ou piano. Ceux même qui ont à la fois un violon et un autre instrument sont rangés également parmi les musettes ; — cette classification est absurde, mais elle est généralement adoptée, à cause peut-être de sa flagrante absurdité.
Comme nous faisons une monographie des bals et que nous n'avons pas la secrète ambition de réformer le langage, ce qui d'ailleurs serait une entreprise au-dessus de nos moyens, nous allons adopter tranquillement la classification idiote dont on se sert partout, c'est-à-dire que les petits bals de marchands de vins, qu'ils aient un violon ou un orgue de Barbarie, seront appelés musettes. Voilà le lecteur averti."
Louis-Auguste Lagarde
- Le bal du Siècle - L'Égalité — 4 juin 1889
- Le bal Giraldon - L'Égalité — 4 juin 1889
- Les bals-musettes - L'Égalité — 12 juin 1889
Cabarets, bouges et assommoirs par Auguste Lagarde
Cabarets modernes ayant cessé d’exister
Cabarets existant
- L’Assommoir des Deux-Moulins - L'Égalité — 16 janvier 1891
- Le Bois tordu du boulevard de la Gare / Les Deux Moulins du boulevard de l’Hôpital - L'Égalité — 17-18 janvier 1891
Les bals de Paris - Deuxième partie par Auguste Lagarde
Bals disparus
- Avant-propos - L'Égalité — 12 mars 1891
- Le bal Figeac, 93 boulevard de la Gare - L'Égalité — 23 avril 1891
Autres lieux
Le cabaret de la Mère Marie, barrière des Deux-Moulins
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1859, version courte)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Alfred Delvau (1860, version longue)
- Le cabaret de la mère Marie vue par La Chronique illustrée (1869)
- Le cabaret de la mère Marie vu par Charles Virmaître (1887)
La Belle Moissonneuse
Le bal de la Belle Moissonneuse, fondé en 1823, était installé 31 rue Nationale (ancienne numérotation).
Et encore...
- Le cabaret du Pot-d'étain (1864)
- Un bal anonyme aux Deux-Moulins - Maxime du Camp (1875)
- Le cabaret des Peupliers - J.-K. Huysmans (1880)
D'autres établissements du 13e arrondissement eurent des renommées furtives ne consistant qu'à les citer sans entrer dans les détails. Si d'aventure, des éléments d'information étaient découverts, nul doute qu'ils auraient alors leur page. C'était le cas pour :
- Le bal des Fleurs ;
- Le bal Arnold dit le "bal des Boches", fermé en 1886, 161 boulevard de la Gare ;
- Le bal Péru ;
- Le bal des Troubadours, 73 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui) ;
- Le bal Bern, 127 boulevard d'Italie (Auguste-Blanqui).
Le bal du Progrès, 36 boulevard de l'Hôpital, souvent rattaché au 13e arrondissement, était en fait dans le 5e.