Un jour dans le 13e



La catastrophe de la rue de Tolbiac

45 morts, 60 blessés

Le Temps — 22 octobre 1915

L'explosion qui a détruit, hier après-midi, ainsi que nous l'avons annoncé, une usine rue de Tolbiac, a fait plus de cent victimes : on compte, jusqu'à présent, une quarantaine de morts et soixante-deux blessés, dont plusieurs sont très grièvement atteints. Cette catastrophe met en deuil le quartier de la Maison-Blanche, où habitaient la plupart des victimes. Voici dans quelles circonstances s'est produit cet épouvantable accident. Au numéro 172 de la rue de Tolbiac, à l'angle de la rue Bobillot, sur un terrain disponible, avait été édifiée depuis la guerre une installation de fortune, des hangars en bois, où fonctionnait une usine dirigée par M. Belland. Un personnel nombreux, plus de deux cents ouvriers et ouvrières, y travaillait nuit et jour, en deux équipes. Hier, à deux heures un quart après-midi, une formidable explosion se produisit, aussitôt suivie d'une seconde, non moins violente.

Il est difficile de déterminer exactement les causes de cette catastrophe. On suppose cependant que dans l'allée centrale séparant deux corps de bâtiments, un camion, chargé de différentes caisses, en passant sur un caniveau, a fait explosion. Toujours est-il que de l'usine qui fonctionnait là, il ne reste plus rien, pas un mur, pas un pilier debout, rien que des débris calcinés, épaves de toutes sortes, morceaux de métal tordus, poutres et planches à demi consumées, verre réduit en miettes, plâtras, chiffons, et partout des taches de sang. Dans tout le quartier, il n'est pas une maison qui n'ait souffert de la violence de l'explosion: toutes les vitrines des boutiquiers, tous les carreaux des fenêtres ont été brisés, les volets arrachés. Le sol est jonché de morceaux de verre et semble criblé de mitraille, de débris de fer et de fonte. Le commissariat de police, qui est situé rue Bobillot, a ses fenêtres brisées, ainsi que l'école communale voisine du lieu de l'explosion et l'église Sainte-Anne, dont tous les vitraux ont été cassés.

Si les dégâts matériels sont considérables, que dire des deuils irréparables causés par cette catastrophe ? Dès la première alarme, les pompiers accouraient de toutes parts, des rues Nationale, Chaligny, Villemain, du boulevard de Port-Royal et de la place Lachambaudie, sous la direction du colonel Cordier. MM. Delanglade, commissaire de police du quartier, et Pelletier, officier de paix, organisaient, de leur côté, le service d'ordre, avec le concours de leurs collègues des quartiers et des arrondissements voisins et de piquets de troupes du 21° d'infanterie coloniale, afin de maintenir la foule, venue de tous les points de Paris.

En très peu de temps, les pompiers purent se rendre maîtres de l'incendie provoqué par l'explosion, ce feu ne trouvant d'ailleurs plus guère d'aliments, et ils purent alors procéder, avec l'aide de la police, à la recherche des victimes. Un certain nombre d'ouvrières, blessées plus ou moins grièvement, avaient pu fuir. Elles furent transportées les unes à l'hôpital Cochin, les autres à la Pitié, d'autres furent conduites au poste de secours voisin établi par la Croix-Rouge, au dispensaire de l'Assistance publique et dans divers autres établissements. Mais il restait, hélas! De nombreux cadavres à dégager des décombres. On procéda à cette funèbre besogne avec toutes les précautions nécessaires. Et dès ce moment, pendant plusieurs heures, on put voir les agents, les pompiers et les soldats transporter sur des civières des cadavres et des débris de cadavres, qu'ils allaient déposer dans un poste de secours, une ancienne salle de cinéma de la rue Martin-Bernard, transformée en une façon de morgue, où la lugubre exposition avait un caractère d'épouvante et d'horreur.

Pendant ce temps, le président de la République, prévenu de la catastrophe, arrivait, accompagné de MM. Malvy, ministre de l'intérieur, et Albert Thomas, secrétaire d'État des munitions. Il fut reçu par M. Laurent, préfet de police, entouré de plusieurs conseillers municipaux, MM. Henri Rousselle, Lemarchand, Rebeillard, Jean Varennes, etc., du général Clergerie, de MM. Chanot, directeur de la police municipale, Joltrain, inspecteur divisionnaire des transports, etc. M. Raymond Poincaré se rendit au cinéma de la rue Martin-Bernard. Le chef de l'État et ceux qui l'accompagnaient se sont inclinés, émus jusqu'aux larmes, devant ces corps mutilés, presque tous des cadavres de femmes, étendus sur les banquettes de cette salle de spectacle- transformée en dépôt mortuaire. M. Raymond Poincaré a eu des paroles de condoléances et de pitié pour tant de malheureuses victimes, en grande majorité épouses ou filles de mobilisés.

Parmi les autres victimes, il faut compter un piquet de garde du 21e d'infanterie coloniale, six hommes et un caporal, qui tous ont péri dans cette catastrophe.

Les funèbres recherches ont continué toute la soirée et une partie de la nuit.

Dans la soirée, le président du Conseil municipal, M. Adrien Mithouard, a réuni le bureau et a fait voter par ses collègues les crédits nécessaires pour venir en aide aux familles des victimes. Une liste de souscription a été ouverte d'autre part, sur laquelle le président de la République a tenu à s'inscrire le premier.

L'étendue et les causes de la catastrophe provoqueront, nous a-t-on affirmé, un débat au Conseil municipal. Deux accidents s'étaient déjà produits dans cette même usine, aujourd'hui disparue, et avaient fait des victimes.

Deux des blessés qui avaient été transportés à 'l'hôpital de la Croix-Rouge, place des Peupliers, sont morts cette nuit.

On ne connaît pas encore la liste des morts, dont l'identification sera très difficile pour un grand nombre à cause de l'état des cadavres. Parmi ceux-ci figurent les soldats du 21° d'infanterie coloniale dont nous avons parlé; puis une fillette de l'école située en face de l'usine, qui passant là au moment de l'explosion et qui fut tuée net.

Les corps ont été transportés à la Morgue, où les familles, depuis ce matin, sont admises à les reconnaître.

M. Boucard, juge d'instruction, a été chargé de l'enquête sur les causes de l'explosion.

La catastrophe de la rue de Tolbiac - 20 octobre 1915


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L'accident du 23 juillet 1915

Saviez-vous que... ?

L'église Saint-Hippolyte, œuvre de l'architecte Jules Astruc (1862-1935), a été construite entre 1909 et 1924, grâce notamment à la générosité de la famille Panhard.

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En 1877, il fut décidé que le nouveau marché aux chevaux reprendrait la place de l'ancien (auparavant transféré sur le boulevard d’Enfer), ce fut M. Magne, architecte, qui fut chargé de la direction des travaux.
Il a fallu faire d'immenses travaux de consolidation et de soutènement pour profiter de l'îlot escarpé et montueux compris entre le boulevard Saint-Marcel et celui de l'Hôpital.
La porte principale du marché, flanquée de deux forts jolis pavillons, s’élevait boulevard de l’Hôpital, tandis qu’un mur défendu par des grilles en fer s’étendait sur le boulevard Saint-Marcel.

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En aout 1939, l'effondrement provoqué des derniers immeubles de la Cité Jeanne d'Arc servit à tester la résistance des abris souterrains conçus par la défense passive.

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Dans son numéro du 18 novembre 1865, le quotidien Le Temps se montrait critique vis-à-vis de l’attribution de noms des proches de Jeanne d’Arc (Baudricourt et Clisson) ou de lieu de ses actions (Patay) à des voies du 13e arrondissement estimant que « les souvenirs de Jeanne d'Arc seraient mieux placés aux environs du Théâtre-Français, où se trouvait la porte Saint-Honoré, qu'elle attaqua le 8 septembre 1420, et où elle fut blessée. »

L'image du jour

La rue Baudricourt vue de l'avenue d'Ivry vers l'avenue de Choisy

Le côté gauche sur la photo a totalement disparu ; en revanche des immeubles ont subsisté sur le coté droit.