Les petits métiers de Paris
L’Intransigeant — 2 octobre 1890
Le réveilleur. — Le ramasseur de croûtes de pain. — Le marchand de crottes de chien. — Histoire d’un ramasseur de mégots et d’une poudre dentifrice. — La chasse aux rats. — Le ramasseur de marrons d’Inde. — Le vernisseur de clous pour tête de lapins. — Dans la haute. — Le génie méconnu.
Dans sa chronique quotidienne, Tout-Paris, du Gaulois, nous a initiés, dernièrement, aux mystères de quelques professions bizarres, oubliées, par Privât-d’Anglemont. II nous a montré : le Chercheur d'or et le Ramasseur de graisse, humbles travailleurs des quais de la Seine qui, à l’embouchure des égouts, passent les détritus au tamis dans l’espoir d’y trouver des parcelles d’or et d’argent, des bijoux perdus, ou tout simplement des épaves d’amphithéâtre ou d’abattoir ; le Fabricant d'asticots, travailleur... en chambre ; le Marchand de crapauds, la providence des jardiniers persécutés par les limaces ; le Marchand de poil à gratter, dit la terreur des belles-mères ; le Faiseur de nœuds de cravates ; le Mireur d’œufs des Halles, chargé de distinguer, de visu, si la marchandise est bonne ou mauvaise ; enfin, l'Effaroucheur de corbeaux.
Comme le constate notre confrère, cette nomenclature est très incomplète. Le nombre des métiers inconnus de la grande partie du public est relativement considérable, et c’est un livre qu’il faudrait y consacrer et non un article si on voulait les citer tous.
Il est, certes, peu de nos lecteurs qui connaissent par exemple l’existence du Réveilleur. Le réveilleur travaille surtout l’hiver aux nuits longues, et remplace avantageusement le réveille-matin. Il sort de chez lui vers deux heures, ayant en poche un calepin sur lequel est soigneusement annotée l’adresse de chacun de ses clients.
Sa fonction consiste, comme son nom l’indique, à arracher aux bras de Morphée, cela moyennant un sou, les ouvriers obligés de partir tôt pour l’usine ou la fabrique.
Le réveilleur accomplit ponctuellement sa tournée comme un facteur des postes, quelque temps qu’il fasse ; il pousse un cri ou lance un coup de sifflet strident devant chaque maison désignée et ne s’en va que lorsque, par un signe venu de l’intérieur, il s’est assuré qu’on l’a entendu. On peut prendre des abonnements à la semaine ou au mois, et dans ce cas, les « prétentions » du réveilleur deviennent beaucoup plus modestes encore.
Il n’est pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens ? Tel est également l’avis du Réveilleur, ce philosophe pratique, qui, de son pas lent et monotone, parcourt les rues et les promenades publiques, à la recherche des Croûtes sales, boueuses et durcies, dont les chiens eux-mêmes ne veulent pas. Ces croûtes, il les revend aux éleveurs de lapins. Les lapins, eux, sont loin de les dédaigner.
C’est aussi l’avis du Marchand de crottes de chien, que l’on rencontre principalement dans le quartier de la Glacière, aux environs de la Bièvre. Lorsque le ramasseur de crottes de chiens a rempli de « marchandise » son seau en fer-blanc, il entre dans une des tanneries qui pullulent dans le quartier, et il vend la marchandise â raison de huit sous la livre. Les crottes de chien sont employées à la préparation des gants de peau. De nos jours, et étant donné les incessants progrès de la science, on peut dire que rien ne se perd, et que tout s’utilise.
Disons un mot du classique Ramasseur de mégots. Celui-là, tout le monde le connaît, tout le monde l’a vu opérer, mais par contre, on ignore généralement l’usage exact auquel il destine les bouts de cigares et de cigarettes qu’il enfouit mystérieusement dans sa poche. Il sèche le tabac, il le coupe et il le revend, tout simplement à des maçons, des cantonniers, des égoutiers et des balayeurs à raison de vingt sous la livre. La place Maubert, à l’entrée de la rue Galande, est le grand marché de des débitants en plein vent. Un bon ramasseur de mégots se procure facilement un salaire de 1 fr. 50 à 2 francs par jour.
L’année dernière est mort le doyen de la corporation-, un sieur M... Il laissait cent mille francs à ses héritiers ! Comment avait-il pu amasser une si forte somme ? C’est bien simple : ancien garçon pharmacien, M... avait imaginé un appareil d’incinération très ingénieux, qui transformait les vulgaires voyoucrotos en une précieuse cendre blanche. Cette cendre, il la vendait à raison de 25 francs la livre à un chimiste, lequel y ajoutait quelques parfums, la mettait dans de jolies fioles., et la débitait ensuite comme dentifrice. Le succès du dentifrice avait fait la fortune de l’ingénieux ramasseur de mégots. M... vendait également aux grands restaurants, des cigarettes délicieuses, fabriquées avec des débris de londrès et de havane qu’il avait longtemps fait macérer dans une solution de thé et de plantes aromatiques. L’exemple de M... démontre que le commerce des mégots offre de la ressource.
Le métier de Chasseur de rats est en pleine activité à cette époque de pluie, où le « gibier » sort la nuit des conduites engorgées. Cette chasse se pratique au moyen de chiens bull-dog. Un chasseur actif peut prendre de trente à cinquante rats dans une nuit ; il les porte ensuite à la mairie de son arrondissement où il touche une prime pour chaque tête prise.
Signalons encore le Ramasseur de marrons d'Inde (avec les marrons d’Inde, on fait de l’amidon, de la teinture et même, de la chandelle) ; le Vernisseur de clous de souliers pour yeux de lapins mécaniques ; le Marchand de têtes de faisans ; le Pêcheur de poil, dans la Bièvre ; le Regonfleur de ballons du bois de Vincennes, qui, recoud, sur place et regonfle, au moyen d’un soufflet, les ballons des enfants lorsqu’ils crèvent.
Ce n’est point seulement dans les classes infimes de la société qu’il faut chercher les métiers bizarres, mais bien dans tous les mondes, Même dans celui qu’on est convenu d’appeler le meilleur. C’est ainsi qu’une agence s’est fondée, récemment, dans le quartier de la Chaussée-d’Antin, pour fournir des gens d’aspect correct et distingué, qui font fonctions de quatorzième à table, ou qui sont destinés à jouer, chez quelque bourgeois bouffi d’orgueil et de prétention, le rôle de sommité politique, littéraire ou artistique. Le personnel de l’agence se recrute de préférence parmi les rastaquouères très décorés de l’Amérique du Sud.
Terminons cette énumération déjà longue par la profession de Génie méconnu. Le « génie méconnu » est assez commun. C’est ordinairement un bohème indécrottable. Nous en avons connu un, jadis, qui subsistait déjà depuis trois ans sur le premier acte d’un drame qu’il n'a, du reste, jamais achevé. Garçon d’un certain talent, mais paresseux en diable et avec cela doué d’un imperturbable aplomb.
Son manuscrit sous le bras, il allait frapper sans façon à la porte des célébrités du monde des lettres, et il finissait toujours par se faire recevoir. Introduit dans la place, il parlait de la difficulté qu’ont les « jeunes » à faire leur trou dans le monde, en même temps qu’à lutter pour l’existence. Bon gré mal gré, la célébrité avalait l’acte jusqu’au bout, et, en fin de compte, pour se débarrasser de l'insupportable raseur, elle y allait de son louis au moins, et parfois de son billet de banque. Augier, Dennery, Gondinet, Dumas fils, tous reçurent sa visite et furent sa dupe.
Nous ne savons quel Académicien, pris de pitié, le nourrit et le logea pendant tout un mois, afin de le mettre à même de finir son drame. Le « génie méconnu » mangea comme quatre, but comme six, il courtisa la bonne. Pendant un mois, il vécut comme un pacha, sans rien faire. Au bout d’un mois, l'Académicien le mit à la porte !...
Ph. Dubois
Ateliers, fabriques et petits métiers du XIIIe
- Le cabinet de lecture des chiffonniers par Charles Yriarte (1863)
- Maquignons et maquilleurs de chevaux (1867)
- Les chasseurs de cabots (1868)
- L’impresario des mendiants (1872)
- Fabrique d'asticots (1883)
- Cuir de Russie (1885)
- Fabrique de squelettes (1885)
- Coupeur de queues de chevaux (1888)
- Les petits métiers de Paris : ramasseurs de crottes à la Glacière (1890)
- La ramasseuse de crottes (1893)
- Le cuiseur de cadavres (1896)
- La profession de cambrurier (1901)
- Rue Cantagrel, des ateliers de nickelage... (1932)