UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 61

VIII

Un duel â l'Américaine

Surpris par la brusque disparition de la lanterne, Marcel Percieux resta pendant quelques secondes immobile, à la même place, et comme hébété.

Raulhac aurait pu profiter de ce moment d’hésitation et d’oubli pour lui loger dans le corps les balles de son revolver.

Déjà, pendant qu’il l’épiait, caché derrière un pilier, il aurait pu prendre sa vie et n’en avait rien fait.

Il semblait répugner à le frapper par surprise.

Peut-être aussi voulait-il l’amener, vivant, à subir ses volontés.

Sa première surprise passée, Marcel avait, d'un bond désespéré, franchi le tumulus qu’il venait d’ouvrir.

Il s’était jeté sur la gauche, derrière le pilier le plus proche.

Il s’y tenait immobile et muet, le revolver au poing, attendant une occasion favorable de se servir de son arme.

Raulhac avait, d'une oreille attentive, écouté le bruit de ses pas.

Il en avait très nettement relevé la direction.

Voyant qu’ils s’arrêtaient :

— Marcel ? cria-t-il.

Un coup de feu retentit.

C’était la réponse à son appel.

Marcel l’avait tiré au juger en se guidant sur la voix. Il était tireur habile. La balle rasa la tête de Raulhac, qui en perçut le sifflement.

Raulhac, heureusement pour lui, s’était abrité derrière un pilier.

Il avait pensé que, pris au piège et ne pouvant plus en sortir, Marcel s'empresserait d'entrer en arrangement.

L'obstination de son ancien ami l’exaspéra.

— Ah ! c’est là ta réponse ! s’écria-t-il. Tu ne veux entendre à rien ! Tu ne te souviens même pas que tout à l’heure, par deux fois, j’ai tenu ta vie entre mes mains et que je l’aurais prise si je l’avais voulu. Mais moi, je ne suis pas un assassin !

Et après un silence pendant lequel il attendit en vain un mot de Marcel, il reprit :

— Tu ne veux pas me répondre ! Tu ne veux pas écouter ce que j’avais à te dire ! Comme il te plaira, mon très cher ! À présent tu as tiré sur moi par surprise, tu as voulu me tuer. Je suis dans le cas de légitime défense. Prends garde à toi ! Si je t’aperçois, si je puis te frapper je ne te ferai pas plus de grâce que tu n’as voulu m’en faire tout à l’heure... Attention !

En même temps, la lumière de la lanterne brusquement démasquée, reparut soudain, et dans l’orbe de sa pâle clarté, Raulhac aperçut Marcel blotti derrière un tas de décombres.

À son tour, il tira, mais sans l’atteindre.

Marcel ne riposta pas. Il disparut.

Tous ses efforts, toute son attention, dès qu’il fut à l'abri, se portèrent sur la lanterne.

Il aurait voulu la frapper d'une balle habilement dirigée, la renverser et l’éteindre.

Il espérait qu’ensuite, grâce à sa connaissance plus parfaite du terrain, il atteindrait la porte de la carrière avant Raulhac ; il réussirait même à l’enfermer dans les caves et à faire retomber sur lui la responsabilité du crime.

Mais Raulhac était sur ses gardes.

On eût dit qu'il avait deviné les desseins de Marcel, tant il déjouait habilement sa tactique.

Avant de démasquer sa lanterne, dont la paroi postérieure, n’étant pas vitrée, formait écran et projetait en avant tous les rayons lumineux, il l’avait soigneusement abritée derrière un pilier.

Blotti dans l’ombre, à quelques pas de distance, épiant le moindre bruit, il se tenait aux aguets, le revolver à la main.

Il avait, par ce retour inattendu de la lumière, contraint Marcel à se jeter dans un des bas-côtés de la carrière.

Il résolut de l’y tenir désormais bloqué, en lui fermant le chemin de la porte et de le repousser au fond de la carrière de façon à le mettre dans l’alternative ou de se rendre, ou d'affronter la lutte à découvert.

Marcel avait vu déjà le danger de sa position.

Lorsque Raulhac, après avoir démasqué la lumière, l’avait reportée par un mouvement hardi d’offensive jusqu’au pilier suivant, il avait pressenti son intention.

Il essaya, par un brusque et rapide élan, de tromper sa surveillance et de gagner la porte.

Pendant une minute, il marcha d'un pas léger, mais perceptible, derrière les décombres qui couvraient le sol, comme s’il voulait se rapprocher de Raulhac, puis, revenant brusquement en arrière, il franchit d’un bond désespéré la crête du tumulus, et se précipita vers le couloir.

Mais Raulhac se tenait aux aguets.

Au moment où Marcel arrivait près de lui, il l'arrêta court en s’élançant à sa rencontre.

Pour éviter la balle, qui le chercha presque aussitôt, Marcel fut contraint de se rejeter précipitamment derrière les décombres.

Raulhac profita du recul de son ennemi pont faire un nouveau pas en avant.

Débusqué brusquement de son refuge, que les rayons lumineux fouillaient jusque dans ses profondeurs, Marcel fut obligé d’aller chercher, à vingt pas de là, l’abri plus étroit, plus précaire aussi, d'un autre amas de décombres.

Après avoir tenté vainement, à deux reprises, d'atteindre la lanterne, en écornant avec ses balles le pilier qui la couvrait, il essaya d’une nouvelle ruse.

Il quitta doucement ses souliers.

Puis, rampant sans bruit sur la couche épaisse de poussière qui couvrait le sol et les décombres, il profita du moment où Raulhac éteignait les rayons de lanterne, et d'un élan rapide la portait en avant, pour sortir inaperçu de sa retraite, et se diriger, en faisant un détour, vers l'issue de la carrière.

La ruse faillit réussir.

Raulhac ne s'aperçut pas, tout d'abord, de cette fuite silencieuse.

Les yeux fixés sur le tumulus, derrière lequel il croyait tenir son ennemi prisonnier, il en surveillait toujours les crêtes et les abords.

Marcel, cependant, avançait.

Mais il était obligé, pour ne pas trahir sa présence, de marcher avec une lenteur extrême.

Étonné bientôt du silence et de l'immobilité de son adversaire, Raulhac eut tout à coup le pressentiment de ce qui se passait.

Il courut jusqu’à la lanterne, l’éleva rapidement au-dessus de sa tête et fouilla de ses rayons toute la zone environnante.

Surpris et ébloui, Marcel n’eut pas le temps de profiter de l’avantage que son ennemi lui offrait en se découvrant.

Avant qu’il n’eût pu se relever, Raulhac l'avait aperçu rampant sur le sol ; il avait tiré sur lui deux coups de revolver.

Marcel bondit en poussant un cri de douleur.

Il se rejeta soudainement dans l'ombre et regagna, par un effort désespéré, son précédent abri.

Il avait évité, grâce à cette fuite précipitée, deux nouveaux coups de leu précipitamment tirés par Raulhac.

Mais il boitait très bas de la jambe gauche, et laissait après lui, sur le sol, une traînée sanglante.

Une des premières balles l’avait atteint à la cuisse et s'était logée dans les chairs.

Pendant qu'avec son mouchoir il bandait rapidement sa blessure, Raulhac rapprochait encore une fois la lanterne du fond de la carrière.

Vingt mètres au plus la séparaient de son extrémité la plus profonde.

Si rapide qu’eût été le transport, il ne put cette fois éviter l’atteinte de son adversaire.

Sa plaie bandée, Marcel s’était couché sur la pente des décombres.

Son regard, passant entre deux pierres, avait coulé jusqu'à Raulhac, et de son revolver, aussitôt glissé dans cette crénelure naturelle, trois balles étaient parties coup sur coup.

Tirées à moins de dix pas, mais d'une main mal assurée, elles avaient sifflé autour de Raulhac, sans l’atteindre.

Un des projectiles lui avait cependant effleuré le visage. Il avait tracé sur sa joue un sillon rougeâtre, d’où le sang se mit à couler avec abondance.

Raulhac se jeta précipitamment de côté.

Il était furieux.

— Ah ! tu n’es pas satisfait encore de ce que je viens de t’envoyer, mauvais gueux ! cria-t-il. Tu en veux d’autres ! Attends-un peu, mon ami, tu vas être servi comme tu le désires.

Il venait d’apercevoir Marcel étendu sur le revers des décombres.

Il se précipita de tout son poids sur le tumulus.

De ses deux mains étendues, il en abattit la crête sur son adversaire.

Il espérait l’écraser sous le poids des pierres, le retenir au moins prisonnier sous leur masse, et le rejoindre, le saisir avant qu'il ne se fût dégagé.

Mais Marcel avait déjà disparu.

Sentant ses forces diminuer, sa vue même se troubler, et craignant de n’avoir plus bientôt assez de sang-froid pour tenir tête à Raulhac dans cet espace à demi-découvert, il s’était retiré jusqu'au fond du souterrain, derrière un énorme morceau de gravats formant à quelques pieds de la muraille, un rempart haut de plus de cinq pieds.

De ce refuge, il avait vu Raulhac renverser les décombres sous lesquels il comptait l’écraser.

Il lui avait envoyé deux balles, et la seconde, l'atteignant au moment où il se relevait, lui avait brisé le bras gauche au-dessus du coude.

Raulhac poussa un cri où la rage dominait la douleur.

— Gredin ! canaille ! s’écria-t-il. C'était là ce que tu me réservais   J’aurais dû m’en douter. Tu es de la race des vipères, toi ! Tant qu’on ne t'a pas écrasé la tête, tu ne cesses de mordre. Attends un peu ! Je vais te faire rentrer ton venin !

En même temps, il s’était précipité sur le dernier abri de son adversaire et l’avait tourné. Vaincu par la faiblesse et la douleur, Marcel venait de s’affaisser sur lui-même, après avoir rechargé son revolver.

— Veux-tu te rendre enfin, canaille ! lui cria Raulhac.

Marcel ayant, pour toute réponse, levé son revolver et envoyé d’une main défaillante deux balles qui se perdirent dans le vide, il lui répondit par deux coups de feu qui le couchèrent pantelant, presque évanoui, sur le sol.

—- As-tu ton compte, gredin ? lui cria-t-il exaspéré de rage et de douleur. Faut-il redoubler ?

Marcel ne répondit pas.

Son visage était livide, ses yeux à demi fermés, et un râle lugubre s’échappait de sa poitrine trouée par les balles. Raulhac, qui le tenait toujours sous la menace de son revolver, s’avançait pour le désarmer, lorsqu’un bruit de pas précipités retentit tout à coup dans la cave, près de la porte de la carrière.

Un instant après, des lumières soudainement apparues emplissaient le souterrain d’une éblouissante clarté.

Le commissaire de police du quartier venait d'y pénétrer à la tête d’une escouade d’agents en uniforme, tous armés, comme lui, de revolvers.

À sa vue, Raulhac devint d'une pâleur livide.

Il essaya de fuir en se dissimulant derrière les décombres.

Mais la lumière de la lanterne l'avait trahi.

Le commissaire l’aperçut.

Ils sont là ! cria-t-il à ses hommes en leur montrant la lanterne. Cernez-les !

Et, donnant l’exemple, il se précipita vers le fond de la carrière.

L’étincelante lumière qui, soudainement, avait envahi le souterrain, semblait avoir ranimé Marcel.

À la vue de Raulhac debout devant lui, le revolver au poing, il s’était péniblement redressé.

Ayant alors aperçu le commissaire et ses agents, il poussa un cri de joie sauvage et haineux.

— Si je suis perdu, s’écria-t-il d’une voix rauque, à peine distincte, tu vas l’être aussi, misérable !

Mais Raulhac ne l’écoutait point.

Il fuyait toujours.

Marcel s’en aperçut.

— Ah ! tu cherches à t’échapper ! reprit-il. Mais je suis là, moi, et tu n’iras pas loin !

D’une main défaillante, mais qui, pendant une seconde, puisa dans la colère et la haine la force de relever l’arme sur laquelle elle s’était crispée, il envoya deux balles dans la poitrine de son ennemi.

Raulhac tomba lourdement, en poussant un cri étouffé, tandis que Marcel, épuisé, s'affaissait sur lui-même.

Lorsque le commissaire arriva près d’eux, il ne trouva que deux corps étendus, privés de sentiment, sur le sol ensanglanté par leurs blessures.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La rue Buot située à la Butte-aux- Cailles a une longueur de 125 mètres pour 10 mètres de largeur. Elle porte le nom du propriétaire de terrains voisins.

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L'église Notre-Dame de la Gare a été construite en 1855 aux frais de la commune d'Ivry

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La gare de Paris-Gobelins a été mise en service le 15 mai 1903. Elle le demeura jusqu'en 1991. Son ouverture eut pour effet de doter Paris d'une nouvelle porte car il y avait encore un octroi à Paris et la gare des Gobelins était un point d'entrée et de sortie.

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En avril 1899, la presse se félicitait de la réussite des expériences de télégraphie sans fil de M. Ducretet entre le Sacré-cœur de Montmartre et l’église Sainte-Anne de la Maison-Blanche soit une distance de 7 kilomètres. A l'époque, l'église, en construction, n'avait que sa façade de réalisée laquelle serait inaugurée en avril 1900. La consécration de l'église Sainte-Anne de la Maison-Blanche eut lieu le 24 octobre 1912.

L'image du jour

La rue Albert, vue en direction du boulevard Masséna.

La photographie est prise en aval du numéro 61 où Mme Lassalle exploitait, en 1910, un commerce de papèterie. A droite, l'immeuble faisant angle avec la rue des Terres-au-Curé existe toujours. Au fond, barrant l'horizon, on distingue les constructions du bastion 87.