UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Littérature

 ASSASSINS !!! - 1

1

ASSASSINS !!!

par
Louis Dagé et Paul Vernier
(1881)


PREMIÈRE PARTIE


La Masure du Corbeau Rouge


1
Double attentat

La nuit du 15 janvier fut une des plus froides de l’hiver si rude qui signala l’année 1874.

À la neige de la veille avait succédé un vent glacial qui durcissait la terre et l’épaisse couche blanche qui la recouvrait.

Bien rares étaient les passants qui avaient osé, ce soir-là, braver les rigueurs de la bise acérée dont les rafales cinglaient le visage.

Néanmoins, deux individus à mine suspecte, coiffés de casquettes avachies et couverts de vêtements jadis neufs, longeaient les quais de la Seine, paraissant se soucier fort peu de la froidure et de la gelée.

L’un, maigre, efflanqué, les rouflaquettes bien pommadées et collées artistiquement aux tempes, fumait un brûle-gueule qu’un long usage avait noirci démesurément. Il était brun et répondait au surnom étrange de Négriot.

Son compagnon formait un contraste frappant avec lui. C’était, en effet, un blond fadasse, moucheté de taches de rousseur, mais doué d’une corpulence qui dénotait une force bestiale peu commune. On l’appelait Sans-Malice, par antiphrase sans doute.

Au demeurant, l’un et l’autre résumaient le type du voyou, rôdeur de barrières, Alphonse de bas étage, gibier de cour d’assises et d’échafaud.

Tandis que Négriot aspirait les odorantes bouffées de sa pipe, Sans-Malice fredonnait une chanson fort en vogue parmi les filles de barrières, habituées des bastringues des boulevards extérieurs.

Il en était à ces couplets, dont nous ne recommandons pas le bon goût et garantissons encore bien moins l’orthographe, l'argot se passant allègrement de ces fadaises superflues :

Ma p’tit' Suzon, il faut que j’te bonice,
Car tes façons commencent à m'mettre à r’naut,
J’tai démarré d’un gonzier d’pain d’épice
Qui n’savait pas t’adorer comme il faut.
J’vas la r'lever, la môme a l’air gironde,
Que je m’disais, croyant faire un chopin.
Mais, sans pognon, tous les soirs je t’ trouv’ ronde,
J’te vas coller un pain.

Sur la reprise du dernier vers, le grand brun, qui paraissait un tantinet soucieux, interrompit son compagnon, et, secouant les cendres de sa pipe, lui demanda à voix basse :

— Sans-Malice ! faudra-t-il suriner le vieux ?

— Nous verrons. Mais ça, c'est mon affaire. Toi, Négriot, tu soliras la môme. Aie soin de préparer un tord-la-gueule pour ravaler ses jaspinements (un bâillon pour étouffer ses cris), c’est tout ce qu’on te demande.

— Suffit !

Il se remit à fumer. L’autre reprit sa chanson.

L’aut’soir tu m’dis : « Moi je suis bonne fille :
J'vas faire un tour jusqu’à chez l'père Constant. »
J’réponds : « Vas-y ; mais n’y fais qu’un quadrille,
J’vas m’ballader en bas, eu t'attendant »
J'pique un poireau, mouillé par la lansquine,
Et tu n’rappliqu’s à la taul’ que l’matin :
Pour toutes les fois qu’tu m’lach’s comme un méd’ecine
J’te vas coller un pain !

Le chanteur aurait probablement continué sa mélopée, si Négriot ne lui eut fermé la bouche par ces mots :

— Chut ! gare à la rousse !

Sans Malice se tut, et tous deux ils continuèrent dans le plus grand silence.

Où allaient ces deux hommes qui redoutaient la police et parlaient si délibérément d’assassinat et d’enlèvement ? Quel crime se disposaient-ils à commettre ? Nous ne tarderons pas à le savoir.

*
*       *

Tandis qu’ils marchaient vers quelque rendez-vous terrible, en retournant sur nos pas, en longeant toujours les quais et nous arrêtant à l’entrée du pont Saint-Louis, nous aurions vu un jeune homme, élégamment vêtu, le traverser, le collet de son pardessus relevé jusqu’aux oreilles, les deux mains dans ses poches, le cigare aux lèvres.

Parvenu au milieu du pont de la Morgue, le promeneur attardé vit tout à coup une ombre, émergeant de l’angle le plus obscur du funèbre établissement, se dresser devant lui ; à pareille heure, dans cet endroit, semblable rencontre ne pouvait présager rien de bon !

Le jeune homme le comprit.

Instinctivement il recula d’un pas et sauta un peu de côté.

Bien lui en prit, car la lame d’un couteau de boucher lui troua les vêtements, mais n’entama point la peau.

Pas un mot n’avait été prononcé.

L’olibrius qui jouait si bien de la pointe n’en était certainement pas à son coup d’essai et n’avait pas de temps à perdre.

Prompt comme la foudre, la victime de cet attentat inouï riposta par une formidable coup de poing allongé en pleine poitrine à son adversaire. Il était doué d’une vigueur réelle, car le malfaiteur chancela presque étourdi.

— Tonnerre ! fit-il avec rage.

Mais sans lui donner le temps de se reconnaître, le jeune homme saisit son ami à bras-le-corps, et le passant par-dessus le garde-fou, il le tint suspendu sur l'abîme.

La Seine était en bas, gelée à la surface, il est vrai ; mais la chute d’un corps devait inévitablement fendre la glace, et le gouffre, ainsi entr’ouvert, ne lâcherait pas sa proie.

— Grâce ! pitié ! murmurait le misérable, n’osant crier, de peur d’éveiller les gardiens de la Morgue ou d’attirer une ronde de la police.

— Ah ! bien oui ! répondit froidement son vainqueur, demande pardon si tu veux gredin ! ou je te lâche !

— Oh ! je vous en supplie, monsieur, au nom de votre mère, an nom de l'amour de votre fiancée, par tout ce que vous avez de plus sacré, ne me tuez pas ! Je crevais de faim !

Cet appel suprême sembla émouvoir le jeune homme, qui répliqua :

— Soit ! je te laisserai la vie... un bien vilain cadeau !

En même temps il reposa vivement à terre le bandit, blême de terreur.

Puis il ajouta, après avoir réfléchi un instant et comme pris d’une résolution soudaine :

— Je te fais grâce... à une condition !

— Oh ! j’accepte ! Laquelle ?

— Pour racheter ta mauvaise plaisanterie, tu feras une bonne action.

— Ma foi, je veux bien ! ça me va, riposta l’homme, sans hésiter. Tonnerre ! ça me changera, et après tout, ajouta-t-il philosophiquement, il y a peut-être du plaisir à être honnête homme. Faut voir !

Tout en parlant, il se secouait et se détirait en frissonnant, mais reprenait peu à peu son aplomb.

— Je suis prêt ! Seulement il faudrait me fournir une occasion d’exercer ma philanthropie, comme disent les malins.

Le 13e en littérature

La rue du Pot-au-Lait

Le drageoir aux épices

par
Joris-Karl Huysmans

Quelle rue étrange que cette rue du Pot-au-Lait ! déserte, étranglée, descendant par une pente rapide dans une grande voie inhabitée, aux pavés enchâssés dans la boue...

(1874)

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La gare de la Maison-Blanche

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !

(1894)

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La Butte-aux-Cailles

Le Trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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La ruelle des Reculettes

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.
— Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.
— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?

(1889)

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Tout le 13e

Taupin

par
Séverine

À l'horizon, passé la plaine de la Glacière, vers la poterne des Peupliers, les « fortifs » verdoyaient comme une chaîne de collines.

(1909)

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Le quartier Croulebarbe

La vieillesse de Monsieur Lecoq

par
Fortuné du Boisgobey

Connaissez-vous la rue du champ de l’alouette ? Il y a bien des chances pour que vous n'en ayez jamais entendu parler, si vous habitez le quartier de la Madeleine. Mais les pauvres gens qui logent dans les parages l'Observatoire et de la Butte-aux Cailles savent parfaitement où elle est.

(1878)

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La ruelle des Reculettes

Les Monstres de Paris

par
Paul Mahalin

Le noctambule par goût ou par nécessité — comme Paris en a tant compté depuis Gérard de Nerval jusqu'à Privat d'Anglemont — qui se serait aventuré, par une nuit boréale de novembre dernier, à l'une des embouchures du passage des Reculettes, y aurait éprouvé l'impression d'un rêve persistant à travers la veille, et s'y serait cru transporté dans ce monde de la chimère et du fantôme...

(1879)

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Un Treizième à découvrir dans...

Saviez-vous que... ?

Depuis le lundi 26 août 1935, et dans un premier temps à titre d'essai, la circulation des véhicules s'effectue à sens unique, d'est en ouest, sur chacune des rampes de la voûte dite « Poterne des Peupliers ».

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Le pont de Tolbiac, en cours de construction depuis 1879, fut grandement endommagé par la grande débacle des glaces de janvier 1880 mais les dégâts furent vite réparés.

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Le 1er mars 1932, l'usine de chaussures (qui répandait aux alentours de manière permanente une odeur de vernis) installée boulevard Kellermann (au 10) était ravagée par un incendie.

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Le monument en bronze honorant la mémoire du Dr Philippe Pinel, destiné à la place de la Salpêtrière, conçu par le sculpteur bien connu Ludovic Durand, fut exposé pour la première fois en octobre 1880 devant le palais de l’Industrie.
Pour son érection, une souscription fut ouverte, avec un comité composé de MM. Lasègue, Baillarguer, Legrand du Saulle, Bail, Falret, Blanche, Mollet, A. Voisin, Ch. Loiseau et Alphand. Le ministère des beaux-arts et la Ville de Paris donnèrent une subvention de 10.000 francs.
Faut-il rappeler que c’est en 1783 que cet illustre docteur fit tomber les chaines des aliénés ?

L'image du jour

La rue de la Butte-aux-Cailles vue vers la rue Bobillot

On remarquera le poste de police sur la gauche. Quelques temps plus tard, le commissariat de la Maison-Blanche sera installé 38 rue Bobillot et on le verra dans Dernier domicile connu avec Lino Ventura, le film se passant essentiellement dans le 13e