UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 8

IV

Une horrible vision
(suite)

Mais ce cri, l’émotion l’avait sans doute étouffé dans sa gorge, car, avant qu’il pût éclater, elle s’était affaissée à demi-morte d'horreur et de désespoir sur le pilier qui l’abritait.

Elle serait tombée sur le sol si sa main n’avait rencontré la saillie d’une pierre et ne s’y était instinctivement cramponnée.

Pendant quelques secondes elle demeura dans cet état d’anéantissement.

On eût dit qu’elle allait perdre connaissance ; mais soudain elle se redressa.

La pensée que, si son mari la surprenait, sa vie et peut-être celle de son fils seraient en danger, l’avait galvanisée.

Elle avait, d’un pas chancelant, d’un air hagard repris le chemin de la cave, et soutenue par cette crainte plus sûrement que par le bras le plus solide, elle avait, sans encombre, atteint la galerie souterraine.

Avant de disparaître, elle s’était retournée pour s'assurer que son mari ne s'était point aperçu de sa présence, et cette précaution avait failli la perdre. C’était alors que Marcel se redressant pour prendre, haleine, avait vu son ombre passer, comme un nuage, à la surface des décombres et s’était mis à explorer la carrière et la galerie.

Mais lorsqu'il atteignit ce dernier passage, Berthe, à qui la frayeur donnait des ailes, avait traversé la cave, gagné la cuisine et gravi l’escalier.

Arrivée dans sa chambre, elle en referma la porte d’un mouvement précipité, presque convulsif, elle se dirigea vers le lit de son fils d’un pas lent et indécis et tomba, comme accablée par son malheur, au chevet de l’enfant qui dormait toujours du même sommeil calme et paisible. Puis, pressant des lèvres, non sa main, qui pendait hors du lit, de peur de l’éveiller, mais le drap sur lequel elle reposait :

— Jules ! mon pauvre Jules ! murmura-t-elle d’une voix étranglée par les sanglots, ton père est un assassin !

Et elle s’affaissa évanouie sur le tapis.

Combien de temps dura son évanouissement ?

Elle n’aurait pu le dire et elle n’eut pas le temps de le constater.

Au moment où elle reprenait ses sens, elle crut entendre sur l'escalier un pas lourd et comme étouffé qui faisait fléchir les degrés.

Tremblant d’être surprise par son mari, elle se redressa d'un bond, se débarrassa de son peignoir et de ses pantoufles et se glissa sous les couvertures, qu’elle ramena sur son visage pour cacher sa pâleur et son tremblement convulsif.

Berthe ne s’était pas trompée.

C’était bien Marcel qui remontait l’escalier.

Après avoir creusé dans les décombres un trou d’une profondeur suffisante, pour que le corps d’homme y reposa sous une couche de débris de plusieurs pieds d’épaisseurs, il était revenu vers le cadavre.

Il l’avait tiré des deux enveloppes dans lesquelles il l’avait enfermé et, méthodiquement, avec le geste mesuré d’un homme attentif aux moindres détails, il l’avait dépouillé de tous ses vêtements.

De cette enveloppé funèbre il fit un paquet, après avoir eu soin d’en retirer le portefeuille et le porte-monnaie du mort ; puis, saisissant le cadavre par les épaules, il le traîna devant la cavité où il voulait l’enfoncer et le hissa péniblement jusqu’à son niveau.

Arrivé sur le bord extérieur, le cadavre, qui s’y trouvait couché par le travers, oscilla quelque temps, puis, cédant à une dernière poussée, il bascula lentement et s’affaissa comme une masse inerte au fond du trou.

Après l'y avoir arrangé de façon à ce qu'il en occupât la partie la plus profonde et y tint le moins de place possible, Marcel saisit la pelle, et d’une main nerveuse, dont une secrète impatience à grand-peine contenue accélérait les mouvements, il se mit à rejeter dans la cavité les décombres qu’il en avait extraits.

Il s'acharnait tellement à ce travail qu'il ne prenait même pas la peine d’essuyer la sueur qui bientôt ruissela sur son front.

À deux reprises il s’arrêta quelques minutes, mais ce fut pour gravir la pente de la tombe et fouler sous ses pieds la terre et les débris qui déjà recouvraient Je cadavre sur une épaisseur de plusieurs pieds, afin de ménager, en les tassant, une place aux décombres qui n’étaient pas encore remis en place.

Lorsque ce travail fut achevé, Marcel poussa un soupir de soulagement, et ses traits contractés se détendirent.

La vue, le voisinage même du corps de Lucien lui étaient visiblement odieux, insupportables.

Maintenant qu'il l’avait fait disparaître, qu’il ne craignait plus de rencontrer ses yeux fixes et menaçants, il était visiblement soulagé.

Il lui semblait qu'il allait pouvoir enfin l’oublier et l’éloigner de sa mémoire comme il l’avait, croyait-il, éloigné pour toujours de la vue des hommes.

Il attacha même sur son travail un regard complaisant, presque satisfait.

Pour un homme qui n’était pas du métier, il l’avait, dans le fait, assez convenablement exécuté.

Si la terre humide qui se mêlait aux débris de la pierre n’eût trahi remplacement de la tombe de Lucien, il eût été presque impossible de la découvrir à la-disposition des décombres remis en place, tant ils se confondaient maintenant avec les autres.

Dans quelques jours, lorsque cette terre aurait séché et se serait couverte de la couche de fine poussière dont le réseau blanchâtre enveloppait toutes choses dans le souterrain, il serait impossible de le reconnaître.

Ensuite Marcel détacha de la pelle et de la pioche les morceaux de terre humide et de gypse adhérant encore à leur surface, et re porta les deux instruments dans la cave, à l’endroit où il les avait pris.

Un instant aptes il reparaissait les bras chargés de débris de tonneaux, de morceaux de bois et de lattes ramassées au milieu des bouteilles.

Il alla déposer le tout dans les profondeurs du souterrain, le plus loin possible de la porte de la cave, derrière un énorme monticule de débris.

Deux fois il recommença le voyage, et lorsqu’avec ces matériaux amoncelés il eut construit une sorte de bûcher, il déposa dessus la dépouille de Lucien, son chapeau, ses souliers, puis ses vêtements.

Quand il eut disposé le tout de façon à ce que l’action du feu ne pût le déplier qu’après l’avoir embrasé de toutes parts, il prit la bougie de sa lanterne et l'approcha des- amas de copeaux et de brindilles de paille placés sous les lattes et les morceaux de bois.

Un instant après, un léger filet de fumée s’ouvrait passage à travers les interstices du bûcher, une première flamme en colorait les flocons de sa strie rougeâtre.

Deux minutes plus tard, une colonne de feu et de fumée s’élançait en ondoyant vers la voûte de la carrière.

Un réseau de flammes enlaça bientôt toutes les parties du bûcher, et les vêtements atteints par le feu, commencèrent à crépiter avec un bruit sourd.

En même temps la fumée, arrêtée par le plafond du souterrain, se rabattait de tous côtés en volutes épaisses et noires ; elle obligeait Marcel à reculer devant ses flots asphyxiants.

Avant de s’éloigner, ce dernier prit le portemonnaie et le jetai dans, le brasier après en avoir fait passer le contenu dans une de ses poches.

Mais il garda le portefeuille.

Reprenant alors, le chemin de la cave, dès qu’il l’eût atteinte, il ferma derrière lui la porte du souterrain et attendit.

Lorsqu’il la rouvrit, au bout d'un quart d’heure, une épaisse fumée remplissait la carrière.

Mais elle s’était, pour ainsi dire, diluée dans son atmosphère.

Elle ne s’y trouvait plus en masses assez compactes pour en défendre l'accès, et Marcel put, sans éprouver de gêne sensible, s’avancer jusqu’au bûcher.

Il n’en restait plus qu’un amas méconnaissable de cendres et de débris informes.

En s’aidant d’une tige de fer qu’il avait rencontrée dans la cave, Marcel, avec un soin minutieux, rapprocha ces débris les uns des autres pour en achever la combustion ; puis, quand il se fût assuré qu'il n'en restait plus rien qu’une masse calcinée de matières en ignition, il en dispersa les cendres de tous côtés.

Sur le sol rougi, à la voûte noircie par la fumée, il subsistait bien encore des traces de l’embrasement ; mais Marcel ne s’en émut pas.

—  Si jamais on les découvre, pensa-t-il, on les prendra pour les traces de feux allumés par les carriers.

Et prenant sa lanterne qu’il avait déposée sur un amas de décombres, il s’éloigna d'un pas rapide.

Après avoir refermé la porte de la carrière, il enleva la clef de la serrure, pour plus de sûreté et la cacha derrière un lot de bouteilles, dans une excavation de la muraille.

Toutes choses remises en place, il gagna la cuisine, y prit des brosses dans un meuble, et d’une main patiente enleva les souillures de ses souliers et de ses vêtements.

Il prenait tant de précautions que du vestibule on ne pouvait percevoir le bruit de ce travail.

Lorsqu’il l’eut achevé, il reprit le chemin de son cabinet, en effaçant derrière lui toutes les traces de son passage.

Au moment où il l’atteignit, il était près de trois heures du matin.

Si bien qu’il eût étouffé le bruit de ses pas, il n’avait pu, nous l'avons vu, l'empêcher d'arriver aux oreilles de sa femme.

Mais â présent qu’il s’était, croyait-il, débarrassé du cadavre sans qu’aucun regard, si non celui de Dieu, auquel il ne songeait pas, tant sa préoccupation était vive, eût été témoin de son funèbre travail, il s’inquiétait beaucoup moins de ce qu’elle pouvait entendre et voir.

Il prit le verra qu’il avait laissé demi-plein de Cognac, l’acheva d’un trait pour se réconforter ; puis, remettant son fauteuil en place, il s'assit devant le bureau, tira de sa poche le portefeuille de Lucien, le posa devant lui et se mit à réfléchir.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La rue du Banquier, ancienne rue, doit son nom au banquier Patouillet qui avait déjà donné son nom au territoire compris entre la rive droite de la Bièvre et les terres de St-Marcel sur le chemin d'Ivry. (Clos Patouillet.)

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La statue de Jeanne d'Arc située boulevard Saint-Marcel est due au sculteur Émile-François Chatrousse renommé pour être représentatif de l'art du Second Empire.

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C'est le dimanche 30 septembre 1934 que fut inauguré le groupe scolaire construit rue Küss en présence de M. Villey, préfet de la Seine et des élus et notabilités de l'arrondissement.
Des discours furent été prononcés par MM. Villey, Gelis et Deslandres.

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Le 21 octobre 1894, le quotidien La Croix informait ses lecteurs et déplorait que le concile laïc, qu’on nomme officiellement « conseil municipal de Paris » et officieusement « Kaperdulaboule », avait débaptisé la rue Saint-François de Sales, Paris 13e, pour lui donner le nom de Daviel et, dans le même temps, changé les dénominations de la rue Sainte-Marguerite et du passage Saint-Bernard.

L'image du jour

Panorama vers l'ouest sur la rue de Tolbiac

La vue est prise depuis un des clochers de l'église Saint-Anne. La première rue à droite est la rue Martin-Bernard.