L'enfant de la folie
Le Constitutionnel — 11 octobre 1896
Un habitant du département de l'Yonne, M. Petrus Pourpiot, rentier, âgé de quarante-six ans, arrivait à Paris, samedi dernier, pour assister aux fêtes merveilleuses données en l'honneur des souverains russes.
Le rentier descendit chez des amis qui habitent boulevard Arago. Hier vers sept heures, il revenait de la place de l'Hôtel-de-Ville, lorsqu'à la hauteur du Jardin des Plantes, à côté de la gare d’Orléans, boulevard de l'Hôpital, une jeune femme, tenant dans ses bras un bébé âgé d'environ six mois, s'approcha et lui dit :
— Gardez-moi donc mon enfant cinq minutes, je vous prie, il faut que j'entre dans la gare et j'ai peur qu'on me le tue !
Malgré l'exagération de la crainte exprimée par l'inconnue, M. Pourriot prit l'enfant de bonne grâce, pensant que la foule des voyageurs effrayait, la mère. Celle-ci disparut.
Une heure, puis une heure et- demie s'écoulèrent ; l'inconnue ne revenait pas. Fort embarrassé du nourrisson qui pleurait, demandant à boire, le rentier s'adressa à un gardien de la paix auquel il raconta sa mésaventure. L'agent le conduisit au commissariat de M. Perruche.
Là, se trouvait justement la mère, en train de se tordre les mains de désespoir, et appelant son enfant à grands cris.
L'infortunée était une pauvre folle. Mme Emilie Lizzouts, mécanicienne, âgée de vingt-six ans, domiciliée rue de la Reine-Blanche, Veuve depuis deux mois.
Des agents l'ayant rencontrée dans la rue se lamentant et se livrant à mille extravagances l'avaient emmenée au commissariat.
Quand on lui présenta son bébé, la malheureuse, en proie à un accès violent de folie, ne le reconnut pas et l'on dut l'éloigner par mesure de précaution. Le commissaire l'a dirigée sur l'infirmerie spéciale du Dépôt.
Quant au bébé, il a été envoyé aux Enfants-Assistés, mais provisoirement, car M. Pourriot a déclaré qu'il s'en chargerait volontiers si aucun membre de la famille du pauvre petit être ne le réclamait.