Le môme « L’Affreux »
L’Aurore — 11 mai 1903
« Nini des Deux-Moulins aime le môme « l’Affreux » pour la vie. »
C’est écrit en caractères gigantesques sur un mur de la rue de Tolbiac. N’était l'étrange sobriquet de l'heureux mortel qui a su allumer une telle passion dans le cœur de « Nini des Deux Moulins », on passerait bien indiffèrent, blasé sur l'éloquence des inscriptions murales. Ce môme « l'Affreux » mérite mieux qu'un coup d'œil dédaigneux. Et j'ai tenu à voir l'étrange Daphnis.
Questionner la première « frappe » rencontrée dans les parages, c'était ce que j'avais de mieux à faire.
— Si vous tenez à voir le môme « l'Affreux », me fut-il répondu, allez l’heure de l'apéritif au bar X... — pas de réclame ! — Vous demandera le môme « La Cloque », c'est plutôt sous ce nom qu'il est connu de ses « poteaux ».
M'étant rendu au bar indiqué, j'eus l'honneur de faire connaissance avec le Don Juan énigmatique au double sobriquet.
Il justifie, sinon l'amour de Nini, au moins ses noms de guerre. Affreux, il l'est au point d'arrêter un cheval emballé en se plantant en face de lui. Une proéminence dorsale très apparente explique l’étrange surnom de « La Cloque » ; c’est une façon d'échassier à museau de fouine, quelque chose comme un bossu monté en graines.
Il passe pour un des rares praticiens modernes du « coup du père François ». Son âge : peut-être vingt ans, peut-être trente ou plus.
Il est ivrogne, il est hargneux-, il a plus de vices qu'un évêque n'en bénirait.
Et c'est précisément pour cela que « Nini des Deux-Moulins aime le môme « l'Affreux »… « pour la vie ».