Un agent du XIIIe attaqué par des rôdeurs
Le Journal — 19 décembre 1910
Un gardien de la paix vient d'être encore l'objet d'une criminelle agression de la part de trois rôdeurs qu'il se disposait à arrêter. C'est le treizième arrondissement, jadis si troublé, et où pourtant, grâce à des mesures sévères et à une épuration méthodique et ferme, le calme était revenu depuis quelque temps, qui a été le théâtre, cette fois, de la tragique scène.
Il était minuit un quart environ. L'agent Jean Assy, âgé de trente-deux ans, qui venait de quitter le poste de la rue de la Butte-aux-Cailles où il avait été de service, passait à bicyclette au carrefour de la rue Vergniaud, un coin désert et sombre que rend plus sinistre encore, à la nuit, la solitude de vastes terrains vagues.
Il regagnait rapidement son domicile, 243 bis, rue de Vaugirard. Mais voilà qu'il aperçoit trois rôdeurs qui, montés sur les rares becs de gaz de l'endroit, en éteignaient la parcimonieuse lumière. Il se précipita et les interpella vivement.
Des insultes, des menaces lui répondirent. N'écoutant que son devoir et son courage, il descend alors de machine et s'élance vers les jeunes gens qui l'accablent de leurs quolibets. Mais saisi aussitôt aux jambes, aux bras, à la gorge par les énergumènes, qui se croient sûrs de l'impunité, car il n'y a pas un passant aux environs, il ne peut résister au choc qui l'a surpris et il tombe.
Des couteaux luisent et s'abattent et des mains de fer écrasent le cou de l'infortuné.
Réussissant à dégager sa main droite, le gardien veut tirer son sabre, mais l'arme lui a été enlevée. Il peut heureusement saisir son revolver. Dans un violent effort il a réussi à se dégager de l'étreinte qui l'étrangle et il fait feu sur le trio, qui a lâché prise et-qui-fuit. Mais les balles n'ont pas porté et les bandits disparaissent.
L'agent, qui est maintenant sans forces, les jambes endolories, la figure tuméfiée, et qui, à demi étranglé, suffoque, roule sur le sol, évanoui.
Le malheureux resta ainsi, sans connaissance, au milieu de la rue déserte, pendant plus d'une heure. Relevé par des maraichers, vers deux heures du matin, il fut transporté à l'hôpital Cochin. Là, il ne tarda pas à se ranimer. Par une chance extraordinaire, il ne portait pas de blessures graves. Les coups de couteau qu'il avait reçus à la hauteur du cœur avaient été heureusement amortis par l'épaisseur de la pèlerine et de la tunique, qui étaient transpercées. Ils n'avaient fait que lui égratigner la chair. Le blessé avait surtout souffert de la suffocation provoquée par les tentatives de strangulation dont il avait été l'objet. Après avoir passé la matinée à l'hôpital, il a été reconduit à son domicile, où plongée dans une mortelle inquiétude, sa femme, l’attendait anxieusement, car elle avait été prévenue par M. Ringel, officier de paix du treizième arrondissement, de l'agression dont son-mari avait été victime.
M. Delanglade, commissaire de police du quartier de la Maison-Blanche, recherche les trois rôdeurs, dont l'arrestation est, parait-il, imminente.