M. Perruche et le perroquet
Paris — 3 septembre 1896
Un
chiffonnier, Jean-Baptiste Guinet dit « la Hache » demeurant dans un hôtel, 14, rue du
Pot-de-Fer passait, il y a trois jours, à sept heures du matin, rue Dolomieux, chiffonnant par
ci, chiffonnant par là. Parvenu en face le n° 1 de cette rue, son attention fut attirée par ces
paroles : « Eh ! là-bas, approche donc ici. » Le chiffonnier se retourna, mais, n’apercevant
personne, continua sa besogne. « Mais, viens donc ! » entendit-il de nouveau et, au même
instant, retentissait la chanson de Marlborough, entremêlée de « En voulez-vous des
z’homards ? »
Le chiffonnier intrigué chercha d’où provenait le chant et aperçut bientôt dans l’intérieur d’une chambre de la maison située au n° 1 et dépendant de la boutique d’une fruitière un superbe perroquet gris à queue rouge qui, à son approche, lui fit maintes questions.
Guinet eut bientôt résolu de s’emparer de l’oiseau qui, pour lui, était une bonne aubaine. N’apercevant personne dans la rue, il escalada la fenêtre, ouvrit la cage et, prenant le perroquet par la tête pour l'empêcher de crier, l’emmena chez lui au plus vite.
La propriétaire du perroquet s’aperçut peu après de la disparition de l’oiseau et, croyant qu'il s’était échappé, alla eu informer M. Perruche, commissaire de police.
— Mon perroquet Balthazar, lui dit-elle, s'est échappé, et il n’a pas dù aller loin.
C’est un perroquet de famille qui passe de mains en mains depuis quatre-vingts ans, et jamais il n’a fait pareille escapade, quoique étant souvent en liberté.
Un agent fut chargé de le rechercher. Ce matin, accompagné de la fruitière et passant tous deux sous les fenêtres de la chambre du voleur, ils entendirent le perroquet qui chantait : « Rendez-moi ma patrie ». Aucun doute n’était plus possible, c'était bien Balthazar.
Le chiffonnier fut arrêté peu après et interrogé par M. Perruche en présence du perroquet et de la fruitière.
Balthazar, heureux de revoir sa maîtresse remuait les ailes disant : « Te voilà ! te voilà ! tra la la la la ». On ne pouvait le faire taire, malgré les injonctions de la fruitière qui lui disait : « Mais tais-toi, on ne s’entend plus », il continuait toujours : « Te voilà, te voilà. Es-tu contente de me revoir ? »
Balthazar a été remis dans sa cage et Guinet, dont le casier est déjà chargé de sept condamnations, a été envoyé au Dépôt.