Le désespoir d'un ivrogne.
Le Matin — 22 mai 1903
Un ouvrier tanneur, Marius Colchamp, entrait hier dans sa trente-troisième année. Il résolut de fêter dignement son anniversaire.
Ayant endossé ses habits du dimanche, il sortit, vers huit heures, et passa toute la matinée à boire des apéritifs dans les bars de l'avenue des Gobelins. Vers midi, passablement ivre, il s'affala sur un banc du boulevard de Port-Royal.
À peine avait-il fermé les yeux, qu’il fut tiré de son demi-sommeil par un individu qui lui offrit d'aller « prendre quelque chose ». Colchamp n'hésita pas. Bras dessus bras dessous, les deux hommes se dirigèrent, vers un débit de vins du voisinage.
Mais tout à coup Colchamp se vit abandonné par son compagnon, qui s'écria :
— Tu es ivre, tu ne peux même pas marcher, je te laisse.
Et il s'éloigna.
— C'est bien, répondit le tanneur, j'irai tout seul !
En effet, il entra chez un marchand de vins ; au moment de payer, il s'aperçut que sa montre et son porte-monnaie, contenant 72 francs, avaient disparu.
En constatant le vol dont il était victime, l'ivrogne fut pris d'un immense désespoir.
Il se rendit dans la tannerie où il était employé, rue des Gobelins, et se jeta dans la Bièvre. Il se fût noyé si un gardien ne l'avait secouru.
Colchamp, dans l'état d'une divinité aquatique enlisée depuis des siècles, peu odorant et les vêtements limoneux, fut conduit, inanimé, à l'hôpital Cochin.
Son état est grave.
M. Yendt, commissaire de police du quartier, fait activement rechercher le trop, obligeant compagnon de l'ivrogne.