La peur du diable
La Justice — 2 octobre 1896
Depuis quinze jours environ, un négociant du quartier de la Gare, M. H..., donnait des signes évidents d'aliénation mentale. Il lui arrivait souvent de se réveiller en sursaut la nuit et de pousser de véritables hurlements de frayeur.
Le malheureux, en proie à une sorte de folie mystique, s'imaginait que des diables venaient s'emparer de lui pour le traîner en enfer et lui faire expier les péchés qu'il avait pu commettre dans le cours de sa vie. Bientôt ces hallucinations l'assaillirent pendant le jour et le négociant fut sans cesse dans un état d'épouvante indicible.
Toutefois, comme il n'était pas dangereux, sa famille ne voulut pas le faire enfermer. Se séparer de l'infortuné leur paraissait ajouter encore à leur malheur.
Or, hier vers minuit, sous l'empire de la folie, M. H. se releva sans bruit, s'arma de deux revolvers qu'on avait eu la grave imprudence de laisser tout chargés dans un meuble, puis il gagna la rue à pas de loup.
Tout à coup, au beau milieu de l'avenue de Choisy, l'aliéné se mit à faire feu des deux armes à la fois en poussant des cris inhumains.
— Des hommes noirs et rouges, criait-il, avec leurs fourches et leurs ailes sont là ; sauve qui peut ! je vais les tuer.
Et la mousqueterie continuait de plus belle.
Des gardiens de la paix attirés par les détonations ne purent qu'à grand-peine s'approcher du fou dangereux et le maîtriser.
Au poste, où M. Perruche, commissaire de police, vint tenter de l'interroger, l'aliéné ne cessait de crier :
— Le diable ! Le diable ! II veut m'entraîner, tuez-le !
Sa famille, prévenue sur-le-champ, l'a fait conduire dans une maison de santé.