La Pègre
Le Journal — 26 septembre 1907
Un cocher, M. Louis Bodard, demeurant 5, rue Nationale, attendait, près de sa voiture, hier après-midi, rue du Château-des-Rentiers, à la hauteur du numéro 108, la sortie d'un client. Une dizaine de rôdeurs, qui cherchaient aventure, vinrent à passer. Narquois, ils s'approchèrent de M. Bodard, et, pendant que pressés autour de ce dernier ils détournaient son attention, l'un d'eux se détacha, alla prudemment jusqu'au fiacre, et, grimpant sur le siège, se disposa à fuir au grand galop de Cocotte dont il cinglait les flancs.

Le cocher s'aperçut du larcin, réussit à se dégager, et, courant, rattrapa son voleur, escalada la voiture, et d'une violente secousse précipita sur la chaussée son conducteur occasionnel. Celui-ci, un nommé Francis Favre, âgé de dix-sept ans, demeurant 108, rue du Chateau-des-Rentiers, se releva, et, assisté des « poteaux », qui s'étaient élancés, se disposait à faire un mauvais parti à M. Bodard, quand les agents en bourgeois Brécy et Goix arrivèrent.
La lutte fut alors circonscrite entre les apaches et les policiers. Ces derniers réussirent enfui à arrêter Favre, qui a été envoyé au Dépôt.
L'agent Brécy, blessé au cours de la bagarre, a dû s'aliter.
Sur la rue du Château-des-Rentiers
La rue du Château-des-Rentiers est une des plus connues du 13e arrondissement sûrement parce que son nom était une antinomie avec la réalité. Elle menait à l'asile de nuit Nicolas-Flamel où "où afflue chaque soir, d'un pas fatigué, la cohue des journaliers et des gens de métier victimes du chômage."
Mais ce n'était pas de ce château là dont la rue conserve la mémoire.
Longtemps courut la légende que le château en question était celui construit, au XVIIIe siècle, par un riche « rentier » d'Ivry, le sieur Vieillard. La chronique du temps, rapportait le Gaulois du 23 septembre 1904, vantait fort la beauté du site dominant la Seine, par delà la rustique barrière des « Deux-Moulins », et s'extasiait sur ses jardins « tout remplis de statues, d'obélisques, de rotondes et de pavillons » de tout ce que nos pères qualifiaient, en un mot, de « fabriques ».
La légende était fausse.
Le "vieux chemin d'Ivry" qui allait de l'ancienne barrière des Gobelins à Ivry prit le nom de "Château-des-Rentiers" pour sa partie parisienne (à Ivry, il est devenu l'avenue Maurice Thorez) à raison de l'existence d'une sorte de pension pour personnes modestes appelée le "petit château des rentiers" sur laquelle une affaire criminelle attira l'attention au moment de son examen par la Cour d'assises de la Seine en août 1823 dont le Journal des débats politiques et littéraires du 26 août rendit compte :
" Le 15 mai dernier, un horrible attentats failli être consommé sur la personne d'un vieillard respectable et infirme, le sieur Antoine Reboul, âge de soixante-sept ans et demi, ancien marchand de draps, retiré à Ivry près Paris, dans une maison qui a été nommée par son propriétaire, à cause de sa destination, le petit château des rentiers. C'est, en effet, une sorte de retraite pour des personnes jouissant d'un revenu modeste, et qui veulent s'arracher au tumulte de la ville.
Un jeune homme qui demeurait dans la même maison, et qu'il honorait de sa bienveillance, a été arrêté comme auteur de ce crime. Déjà ce furieux avait frappé le malheureux vieillard de trois coups de couteau, et l'avait renversé sur son lit, où il s'apprêtait à lui porter le coup mortel. L'arrivée de deux femmes attirées par le bruit l'interrompit à peine, et il frappa encore sa victime de deux autres coups avant de laisser sa proie.
L'accusé, saisi en quelque sorte en flagrant délit, était un jeûne homme de vingt-quatre ans, nommé Alexandre Goujon , lequel, après avoir embrassé sans succès les professions de papetier et d’ébéniste, les avait abandonnées l’une et l'autre , et s'était retiré dans la même maison que Reboul, au château des rentiers, où il prit un logement de cent francs, par an. Il n'y eut aucun moyen, aucun mensonge qu’il n’employât pour capter la confiance de ce vieillard, sans cesse avec lui, il semblait sympathiser à tous ses goûts ; il disait aux voisins que Reboul, espèce de misanthrope, ayant été trompé par tous ceux avec qui il avait eu affaire, et ayant même manqué d'être empoisonné par une de ses maîtresses, ne pouvait vivre qu'avec lui Goujon , et que cela n’était pas étonnant, car il n'aimait que les personnes âgées et prudentes."
En 1840, ce château-des rentiers existait encore. En 1847, compris dans le périmètre des fortifications en construction, notamment du bastion 90, il n'était plus qu'un lieu-dit. Le nom de rue du Château-des-Rentiers est attesté depuis au moins 1844.

Sur l'asile Nicolas-Flamel
Situé au n°71 de la rue du Château-des-Rentiers, sa création fut décidé en 1888 en remplacement de l'asile de la rue de la Bûcherie amené à disparaître lors du prolongement de la rue Monge. Le choix de l'implantation fut fait en raison de la faible valeur des terrains de cette rue (7 francs le mètre) comparé à celle d'un autre terrain disponible avenue d'Ivry (25 francs le mètre).
- Le 14 juillet des miséreux (1896)
- Le bon refuge (1901)
- L'assistance par le travail (1904)
- Hôtel particulier rue du Château-des-Rentiers (1924)
- Ce sont les clochards qui assurent le chauffage des écoliers parisiens (1942)