Faits divers

 Le mystère du boulevard Masséna - 1894

Le mystère du boulevard Masséna

La Presse — 19 décembre 1894

Il y a de cela quelques années, une dame quittait Paris où elle laissait ses deux filles, employées dans une maison de commerce, et partait en Amérique pour y contracter un second mariage. Avant son départ elle recommandait ses deux filles à l'une de ses amies, Mme veuve X... en la priant de leur venir en aide en cas de besoin.

Pendant un certain temps, Mme X... n'entendit pas parler des jeunes filles ; mais, un jour, l'une d'elles vint la trouver et lui expliqua que, ne pouvant payer leur loyer, elles allaient être expulsées par leur propriétaire. Elle supplia Mme X… de les sauver de cette situation critique, ce que celle-ci fit en-avançant la somme nécessaire.

Nouveau laps de temps sans que les jeunes filles donnent signe de vie à leur bienfaitrice.

Enfin, dans le courant du mois de novembre dernier, un mardi soir, pendant que Mme X... dînait avec son jeune fils, âgé de dix-sept ans, elle reçut une carte-télégramme fermée. Ce petit-bleu était signé de l'une des deux jeunes filles. Elle y expliquait que sa sœur était à l'agonie et que, dans la plus complète misère, elle ne pouvait ni la soigner ni la faire enterrer. Elle ajoutait que le manque de ressources les avait obligées à déménager et à aller se loger dans un quartier excentrique, boulevard Masséna, n° 15. Elle terminait en suppliant Mme X… de venir encore une fois à leur secours au plus vite, lui indiquant quel omnibus était, pour venir à leur domicile, le meilleur moyen de transport, la tête de ligne étant près du boulevard Masséna.

Malgré les observations de son jeune fils, Mme X… n’écoutant que son bon cœur voulut partir immédiatement, seule, pour le boulevard Masséna, en prenant l'omnibus que le télégramme lui indiquait.

Le lendemain soir, Mme X. n'avait pas reparu chez elle et n'avait pas écrit aux siens.

Son gendre et son fils, fort inquiets, prirent l'omnibus indiqué, allèrent jusqu'à la tête de ligne et se renseignèrent auprès du contrôleur. Celui-ci leur dit qu'en effet, la veille au soir, vers 9 heures 1/2, une dame, répondant au signalement donné, lui avait demandé son chemin pour aller boulevard Masséna, numéro 15, mais qu'il ne l'avait plus revue. Ces messieurs suivirent le boulevard Masséna, où ils cherchèrent en vain le numéro 15, qui n'existe pas.

Plus de doute pour eux, Mme X… avait été attirée dans un guet-apens, volée et probablement même assassinée.

Ils allèrent alors à l'ancien domicile des deux sœurs et là ils apprirent qu'elles avaient effectivement déménagé, mais pour aller demeurer rue de Paradis. Rue de Paradis, au numéro indiqué, ils trouvèrent les deux jeunes filles en parfaite santé, jurant que ni l'une ni l’autre n'avait écrit ou télégraphié à Mme X...

La famille de Mme X... fit alors sa déclaration à la justice qui ne trouva rien.

Mais environ quinze jours après la disparition de Mme X… on apporta à la Morgue le cadavre d'une femme repêchée dans la Seine par un marinier. Les poches des vêtements étaient retournées et le corsage ainsi que le corset entièrement dégrafés. Les mains étaient crispées.

Les parents de Mme X... reconnurent positivement le cadavre, dont l'identité fut constatée. Ils déclarèrent, en outre, que Mme X… avait l'habitude de porter sur elle, dans des poches pratiquées à l'intérieur du corsage et du corset, l'argent qu'elle possédait chez elle.

Donc, ceux qui avaient préparé et consommé le crime connaissaient parfaitement d'abord, les relations de Mme X, avec les deux jeunes filles, dont on imita l'écriture et la signature ensuite, la coutume que la victime avait de porter sur elle, dans son corsage et son corset, les sommes qu'elle possédait chez elle.

Telle est l'histoire, invraisemblable peut-être, et cependant rigoureusement vraie que nous connaissons depuis plusieurs semaines déjà, mais dont nous n'avions pas voulu parler jusqu'ici dans la crainte d'entraver l'action de la justice.

Aujourd'hui que l'enquête ne semble pas avoir fait de progrès, bien que le champ des recherches soit assez limité et qu'une piste paraisse facile à trouver et à suivre, nous croyons pouvoir livrer ces faits à la publicité.

Georges Meillet.


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Saviez-vous que... ?

Paris comptait 140 cités ou villas en 1865. Parmi celle-ci la cité Doré "formée de murailles en plâtras, en planches, occupée par les chiffonniers les plus pauvres du 13eme arrondissement" selon le guide de M. Joanne.

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Cinq ponts relient le XIIIème et le XIIème arrondissement.

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En 1929, le 13e comptait 11 cinémas : Le Bobillot, le Cinéma des Bosquets, le Clisson-Palace, l'Éden des Gobelins, le Cinéma des Familles, le Jeanne d'Arc, le cinéma Moderne, le Palais des Gobelins, le Royal-Cinéma, le Sainte-Anne et le Saint-Marcel.

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Le 23 novembre 1897, vers quatre heures, un employé de banque, M. Henri L…, âgé de 40 ans, habitant boulevard de Port-Royal, se présentait au commissariat de police du quartier Croulebarbe et demandait à voir le commissaire en personne.
Mis en présence de M. Yendt, le pauvre employé déclara que Dreyfus était innocent et que c'était lui-même qui avait dérobé et vendu les documents à l'Allemagne. Puis, il prononça quantité d'autres paroles incohérentes.
M. L… fut envoyé l'infirmerie spéciale du Dépôt.

L'image du jour

Angle boulevard de L'Hopital, rue Jenner

L'immeuble à droite constituait la proue de l'ilôt formé par la rue Jenner, le boulevard de la Gare et la rue Esquirol et qui comprenait la Cité Doré. Il disparut avec le percement du tronçon Gare - Hôpital de la rue Jeanne d'Arc