Boulevard de la Gare
La veuve Rigolot a malgré tout de la chance
Le XIXe Siècle — 12 mai 1873
La dame veuve Rigolot est une bonne vieille qui tient, boulevard de la Gare, 6, une baraque pour la vente des journaux. Elle y arrive tous les matins régulièrement à neuf heures, et, comme elle y reste jusqu'à une heure avancée de la soirée, elle y a disposé une sorte de buffet dans lequel elle place des bouteilles de vin et les petites provisions nécessaires pour ses repas.
Informé de ces diverses circonstances, un voleur pénétra hier matin dans la baraque, s'empara d'une somme d'argent qu'il trouva dans le tiroir et fit ensuite un paquet de quelques effets d'habillement appartenant à la marchande, des journaux qui restaient de la vente de la veille, enfin de tout ce qu'il était possible d'emporter.
Il tira alors sa montre et, voyant qu'elle marquait sept heures et demie, il pensa qu'il avait largement le temps de déjeuner.
En conséquence, il visita le buffet. Il y avait un morceau de pâté et du pain dont il fit son profit, puis il donna l'accolade aux bouteilles. Dans cette agréable occupation, les instants s'écoulèrent rapidement et il était huit heures quand il songea enfin à se retirer.
En ce moment arrivait la veuve Rigolot. Toute la nuit elle avait été tourmentée parce qu'elle s'était souvenue qu'elle avait oublié d'emporter le soir son argent, et qu'elle avait l'appréhension d'être victime d’un vol.
Ce pressentiment fit qu'elle s'éveilla de bon matin et que, pour la première fois, elle devança l'heure habituelle de son arrivée à la baraque. Elle y trouva le filou achevant la dernière bouteille et elle cria de toutes ses forces : « Au voleur ! »
Le coquin s'enfuit avec agilité ; mais des gardiens de la paix se mirent à sa poursuite et parvinrent à le rejoindre. Il a été reconnu pour un carroubleur émérite, et, après constatation, le commissaire de police du quartier, chez qui il avait été conduit, l'a envoyé au Dépôt.