Un rôti de chien enragé
Le Figaro ― 14 mai 1873
On sait peut-être que la cité Doré, près de l’ancienne barrière des Deux-Moulins, est un quartier composé de cahutes singulières, habitées par des chiffonniers. Quartier modèle s'il en fut... Sa population tient à ce que tout s'y passe pour le mieux, à ce que rien ne vienne entacher la réputation d'esprit pacifique comme de probité de la corporation. À cet effet, les habitants y font eux-mêmes la police, y exercent parfois la justice, et, autant que possible, y exécutent les sentences prononcées. Ils n'aimeraient pas que le commissaire parût chez eux et celui-ci, qui sait jusqu'à quel point ils poussent la surveillance mutuelle, ne contrarie guère leur manie. Aussi, les habitants de la cité Doré viennent-ils d'accomplir eux-mêmes un acte de la plus grande sévérité, à l'occasion et de la manière que voici.
L'un
deux avait un chien qu'il avait nommé Canari. Hier, ce chien mord un enfant,
du nom de Dufumier, fils d'un des chiffonniers de la petite colonie. Tout de
suite, on suppose le chien enragé. Bientôt on s'en croit sûr et l'on s'indigne
contre le peu de vigilance du propriétaire de la bête. L'émoi est grand, et
un double châtiment ne se fait pas attendre. On se rend en foule à la porte
du maître du chien. Un affreux charivari lui est administré, qui dure
à peu près un quart d'heure. Un orateur lui reproche en trois mots son incurie
coupable. Puis on jette dans sa maison la peau de Canari que l'on vient d'immoler
et de couper en quatre morceaux. Les quartiers sanglants sont fixés au bout
de bâtons, et l'on annonce au charivarisé qu'ils vont être mangés.
Or, ils l'ont été bel et bien. Et c'est ainsi qu'à la cité Doré on tue les malfaiteurs et qu'on en dîne ensuite, afin qu'il n'en reste plus trace ici-bas.
Le chien était-il enragé ? C'est certainement ce que personne n'avait pu établir. S'il l'était, nous souhaitons à ceux qui l'ont dépouillé, puis mis en pièces, de n'avoir eu aux mains ni coupures ni plaies. Pour ceux qui s'en sont régalés, nous doutons que leur santé y gagne.
Quant au fait, il est de la véracité la plus grande.
On en voit bien d'autres, après tout, dans la cité Doré !
Sur la cité Doré
Le récit
Le lieu
- La cité Doré par Alexandre Privât d'Anglemont (1854)
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Revue municipale et gazette réunies — 10 septembre 1859
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Réponse de M. Doré - Revue municipale et gazette réunies — 1er décembre 1859
- La Nouvelle Cour des Miracles. - Réponse de la Revue municipale et gazette réunies à M. Doré — 10 décembre 1859
- Le cabinet de lecture des chiffonniers par Charles Yriarte (1863)
- Paris Lugubre : la Cité Jeanne-d’Arc et la cité Doré (1879)
- La cité Doré - Journal des débats politiques et littéraires — 22 mai 1882
- La cité Doré par Marcel Edant (Le Petit-Journal - 1887)
- La cité Doré par Jean Soleil (1889)
- Les cabarets de la cité Doré (1890)
- Un coin curieux de Paris (1901)
- La tournée des édiles par Lucien Descaves (1909)
- Trois îlots à détruire d'urgence (1923)
La catastrophe de la Cité Doré
Faits-divers
Sur la cité des Kroumirs
"Qu'on s'imagine un terrain de 30 mètres de largeur et de 150 mètres de longueur environ, en pente vers la rue Jenner, sans issue et sans écoulement d'eau vers cette rue.
Au milieu de ce terrain, un chemin en terre grasse, détrempé par la moindre pluie et rendu infect par les détritus et les déjections de toute espèce qui s'y sont incorporés.
De chaque côté de ce chemin, des abris, plutôt que des baraques, construits en vieux matériaux, en paillassons, en loques, en tout ce que l'ingéniosité de la plus poignante misère peut assembler et coudre pour se préserver de l'intempérie des saisons.
Près de quelques-uns de ces réduits une fosse en terre, quelquefois un tonneau enfoncé dans le sol, sert de cabinet d'aisances. Un peu partout des ordures ménagères, des matières fécales, des débris de toute sorte. On comprendra maintenant pourquoi cette cité a reçu un surnom qui fait image : la cité des Kroumirs."
Dr Olivier du Mesnil - L'Hygiène à Paris (1890)