Mon Film
La rafle de la place des Alpes
Le Journal — 28 avril 1923
— Haut les mains ! Que personne ne sorte !...
Cinquante « détectives » envahissent cette salle de bal faubourienne où des centaines de « mecs à la redresse » et de « mômes » pour la plupart « bien balancées » transpirent une « java ».
Bagarre... Mais force reste à la loi et deux cents danseurs, dont cinquante danseuses, sont conduits en camions automobiles au quai des Orfèvres. Interrogatoires, vérifications d'identités. Les étrangers abondent ; en revanche, peu d'étrangères… Tout ce joli monde — ou presque — est conduit au Dépôt.
Tel est le fait divers, qui vient de nous être conté. Le bal où ce magnifique coup de filet a été donné est l'« Excelsior », place des Alpes. Et les reporters ajoutent : « Il est probable que l'on retrouvera parmi ces danseurs interlopes des voleurs internationaux que la police recherchait depuis pas mal de temps. »
Eh bien ! cela m'étonnerait.
Les voleurs internationaux ne doivent guère fréquenter les dancings dont les orchestres, riches en accordéons, réveillent les échos de la place des Alpes !
S'ils dansent la « Java », ce n'est pas dans ces quartiers lointains et ce n'est pas non plus en serrant dans leurs bras les mômes du boulevard de la Gare.
Je les imagine plutôt en smoking et gambillant dans les établissements chics avec des poules de luxe. Ils ne se font pas servir des saladiers de vin chaud ; sur leur table fleurie défilent les bouteilles d’extra-dry, qui, dans les seaux à glace, prennent des airs penchés.
Au fait, les vraies rafles, les rafles utiles, les rafles vraiment efficaces, ce n'est peut-être pas aux Gobelins, à Ménilmontant ou à la Glacière qu'elles s'imposent avec le plus d'urgence.
Les poissons ainsi capturés ne sont, en somme, que de petits poissons : les chalutiers de la Préfecture n'apportent au frigorifique du Dépôt qu'une marée assez banale et qui, salée et mise en boîte, ne me paraît pas valoir ce que représentent tant d'efforts dépensés, de frais accumulés, de dangers courus.
Il y a des pêches autrement miraculeuses à organiser dans les bas-fonds parisiens, mais ces bas-fonds ne sont pas situés dans les quartiers excentriques, et l'espèce frétillante qui y fait briller ses écailles d'émeraude et d'argent n'a rien de commun avec les pâles spécimens capturés à l'Excelsior de la place des Alpes.
Je voudrais lire un fait-divers ainsi conçu :
JOLI COUP DE FILET
La nuit dernière, la police a fait une descente dans plusieurs dancings très élégants. Une centaine d'individus en smoking et de poules de luxe ont été appréhendés. On a reconnu parmi eux divers rastas étrangers, des rats de palace, des souris de wagons-lits, des financiers véreux, des amis professionnels de vieilles coquettes, des entôleurs de riches étrangères, etc., etc.
Tout ce joli demi-monde a été conduit au Dépôt.
Vous ne trouvez pas que ce serait plus intéressant ?
CLÉMENT VAUTEL.
Ce texte est un éditorial portant le titre générique "Mon film". Le titre "La rafle de la place des Alpes" a été ajouté.
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