Le Chien et la Génisse à six pattes
Le Petit Parisien — 19 juillet 1896
Il y a parmi les nombreux forains installés avenue des Gobelins, depuis la fête nationale, une baraque en bois tenue par M. Lecot et dans laquelle on exhibe pour quelques centimes une génisse à six pattes. Ce « phénomène vivant » possède en effet, à l’épaule gauche, un appendice charnu terminé par deux pattes et long de quatre-vingts centimètres environ.
M. Lecot qui est un employé retraité de la Compagnie du chemin de fer de Lyon, tient beaucoup à sa génisse, qui lui rapporte de jolis bénéfices.
Or, il y a deux jours, un nommé José Moldaen, sorte de bohémien sans profession bien définie, qui habite une roulotte dans un terrain vague de l'avenue d’Ivry, vint proposer à M. Lecot de lui vendre son phénomène, ce que le forain refusa catégoriquement.
Moldaen insista avec ténacité, puis finit par s'emporter et par injurier le propriétaire de la génisse. Celui-ci, impatienté, mit le bohémien à la porte en lui disant :
— Vous êtes un insolent qui voudriez, j'en sais sûr, me tromper, car j'ai payé ma bête mille francs, et je me demande où vous prendriez une pareille somme.
Moldaen se retira en proférant des menaces.
La nuit dernière, vers trois heures du matin, M. Lecot, qui couche dans un petit réduit attenant à la baraque, fut réveillé en sursaut par les aboiements furieux de son chien, énorme danois auquel est confiée la garde du phénomène. Le forain, s'armant d'un revolver et muni d'une lanterne, pénétra dans la baraque.
Il aperçut Moldaen gisant sous le chien, qui le tenait à la gorge.
M. Lecot fit lâcher prise au molosse et remit le bohémien entre les mains des gardiens de la paix, qui le conduisirent au poste où M. Perruche vint l'interroger.
Le malfaiteur avoua au magistrat que son intention était de couper l’appendice de la génisse et de lui enlever de ce fait sa valeur.
Après avoir été sommairement pansé, il a été transporté à l'hôpital de la Pitié, où on l'a consigné à la disposition de la Justice.