COMME AU TEMPS DES SABINES.
Rue de l'Amiral-Mouchez une jeune femme est enlevée en taxi par quatre hommes.
Son ancien ami la reprenait à un rival
Le Petit-Parisien — 15 septembre 1931
Un entrepreneur de plomberie, de la rue de l'Amiral-Mouchez venait, au début de l'après-midi d'hier, déclarer au commissariat du quartier de la Maison-Blanche.
— On a enlevé tout à l'heure, non loin de chez moi, une jeune femme qui passait dans la rue. Elle a été poussée dans un taxi par quatre hommes, et la voiture, filant aussitôt, a disparu vers la porte de Gentilly. Quelque peu surpris par cette nouvelle assez effarante d'un enlèvement, en plein jour dans une rue populeuse, M. Faugeron, secrétaire du commissariat, se rendit sur place pour obtenir de plus amples renseignements. Mme Vachet, charcutière, 30, rue de l'Amiral-Mouchez, devant la boutique de laquelle s'était déroulé l'attentat, lui en fit le récit détaillé.
— Il pouvait être 11 h 30 environ, dit-elle, lorsqu'un taxi de couleur claire, grise ou beige, occupé par quatre personnes, s'arrêta à la hauteur de ma boutique. Je vis peu après une portière s'ouvrir brusquement, trois jeunes gens descendre de la voiture, se précipiter sur une jeune femme qui passait et la faire entrer de force dans le véhicule, Je n'ai pu voir sa figure : sans chapeau, très blonde, les cheveux coupés, de taille moyenne, elle m'a paru avoir une trentaine d'années.
Elle était vêtue d'une blouse rose. J'entendis qu'elle appelait au secours et j'ai pu remarquer qu'un des jeunes gens qui la tenaient lui appliquait sa casquette sur la figure, probablement pour étouffer ses cris. Un jeune homme se tenait à côté du conducteur. Ce dernier, qui pouvait avoir cinquante ans, était de teint basané, il portait une longue blouse grise et une casquette de chauffeur.
D'autres voisins, notamment une concierge, confirmèrent les dires de la commerçante. Il ne pouvait s'agir d'une hallucination collective. Quel drame s'était ainsi amorcé ? À quelles vengeances était donc promise la victime de cet audacieux enlèvement
L'enquête confiée à l'inspecteur Robaglia de la police judiciaire, devait lui permettre d'avoir, dès la soirée, le mot de l'énigme le drame tournait au vaudeville, avec une mise en scène romantique.
La « victime de l'enlèvement » se nommait Jeanne Legrand, âgée de vingt-cinq ans et originaire de Vimereux (Pas-de-Calais). Elle, habitait, depuis quelques semaines, au n° 10 de la rue de l'Amiral-Mouchez, avec un Portugais nomme Auguste Pereira. Mais, la volage avait été imprudente en abritant ses nouvelles amours la limite, du XIVè et du XIIIè arrondissement alors que, dans ce dernier, un ami délaissé par elle Pierre Simon, trente ans, ouvrier peintre ne ne pouvait se résigner à cet abandon.
Il avait recherché et fini par apprendre sa nouvelle adresse. Son frère Marcel et deux « copains » dévoués Georges Magnan et Louis Gavoilla, acceptèrent de l'aider dans l'expédition qu'il décida on irait enlever la belle, pour la ramener au bercail. Ce qui fut fait, alors que, son sac à provisions à la main, elle se rendait, sans méfiance, chez les commerçants du quartier.
Les femmes sont, parfois, sensibles à une douce violence. Jeanne Legrand a réintégré l'hôtel de la rue Godefroy, où elle vivait auparavant avec Pierre Simon. Et délaissé à son tour, Auguste Pereira doit méditer, depuis hier, sur la fausseté du dicton qui prétend que les Portugais sont toujours gais…