La rue Kuss vue en 1930 par Elie Richard
Extrait de "La Tournée" — Paris-Soir, 31 mars 1930
Il y a à gauche, dans la rue des Peupliers, perpendiculaire et neuve, la rue Kuss. La Ville a acheté les terrains où elle doit passer et projette de pousser, à travers le massif glaiseux, vers la rue de la Fontaine-à-Mulard. Le sol se relève de deux ou trois mètres ; c'est là un reste de butte, autour de quoi tournait la Bièvre. Un fouillis de jardinets, encagés en du fil de fer, s'y révèle, avec des huttes délabrées, une colonie étonnante d'agriculteurs comme on n'en voit qu'ici. Au niveau d'un premier étage, on fait pousser des salades. Entre d'énormes immeubles industriels et des bâtiments en béton armé, des citadins ont creusé dans la glaise ou le calcaire des caves où ils se logent à la façon des montagnards. Les cabanes basses, goudronnées comme des coques de bateaux fument calmement derrière des haies drues et des buissons arborescents. Ce massif est contenu, rue Brillat-Savarin, par un mur fait de gros blocs moussus, rongés, qui portent deux ou trois cents ans d'âge, qui a connu les grandes inondations de la rivière supprimée.
La population était, il y a quelques années, la même qu'aux confins de Paris, fort mêlée, misérable et vivant de peu ; sa physionomie décelait un genre de vie commun aux chats de gouttière, aux biffins et aux mâtins.
Je crois bien que j'ai rencontré la naïade de la Bièvre, rue Kuss. Elle n'était pas comme les autres enfants de ce pays, neutres et barbouillés uniformément. Une petite fille à l'œil de pervenche, coiffée d'une soie vierge qui lui tombait jusqu'aux yeux, était assise au bord d'un trottoir. De loin, elle suivait, comme une chatte inquiète, les mouvements d'un mécanicien, qui, enfoui dans le capot d'une automobile, fouillait les entrailles de la mécanique, avec un affairement de médicastre.
L'enfant était vêtue d'un sarrau noir qui l'enveloppait, de l'uniforme des pauvres, et ses deux mains tachaient d'empêcher le veut ou le regard du passant de pénétrer dans ses dessous haillonneux. Elle était chaussée d'étonnants souliers à semelles de bois, faits d'un cuir sans brillant, si bien qu'on eût dit qu’elle avait des sabots de faunesse.
Enfant de biffin ! Image du vieux quartier ! Elle devait habiter une roulotte ou une de ces paillotes de la butte voisine. De la vie primitive presque animale, elle passe, une fois qu'elle a franchi la rue au moderne le plus récent, aux merveilleuses maisons en mâchefer de la cite ouvrière, à l'automobile pétulante, au tram électrique qui déchire, dans un vacarme, la paix relative du quartier, surtout à l'hôpital de la Croix-Rouge de la place des Peupliers.
Le groupe scolaire de la rue Kuss
La rue Kuss
C'est en 1885 que le conseil municipal de Paris proposa de donner le nom de Kuss, dernier maire français de Strasbourg en 1870, à la voie nouvelle à ouvrir entre la rue du Pot au Lait (qui allait devenir plus tard la rue Brillat-Savarin) et la rue Damesme. L'intérêt de cette nouvelle voie était de relier les quartiers sud-ouest de la Maison-Blanche à l'avenue d'Italie mais sa réalisation posait une difficulté particulière : le franchissement de la vallée de la Bièvre et de la rue des Peupliers. En effet, sur une très courte distance, la rue commençait à l'embranchement de l'ancienne rue de la Fontaine aux Clercs à une altitude d'environ 48 mètres, devait descendre à 37,78 mètres au niveau de la rue des Peupliers pour remonter à 51,18 m au niveau de la rue Damesme.
La tâche était donc compliquée et prit du temps. En 1923, le percement de la rue Kuss était toujours au nombre de travaux prioritaires à accomplir selon une liste établie par Adolphe Chérioux, conseiller municipal du quartier Saint-Lambert en charge de l'urbanisme à l'Hôtel de Ville.
Ce sera finalement en 1929 que le percement de la rue sera achevé au moins dans sa première partie car la jonction avec la rue Damesme reste à faire. Le quotidien Paris-Soir y emmènera deux fois ses lecteurs et y reviendra en 1930 sous la plus d'Elie Richard, auteur de la tournée.
La rue Kuss n'ira pas plus loin. En 1931, c'est le nom de "Docteur Tuffier" que l'on donne au tronçon restant à ouvrir en direction de la rue Damesme. Il sera ouvert en 1934.
Les écoles
Après la Grande Guerre, les jardins maraichers existants entre la place de Rungis et la rue des Peupliers commencent à céder la place à des groupes d'habitations à bon marché. Avec les constructions des années 2O dues aux initiatives privées et publiques rue de la Fontaine à Mullard et rue Brillat Savarin, le secteur se peuple et il faut répondre aux besoins de cette nouvelle population. En 1931, Louis Gelis (1886-1940), le très actif député et conseiller municipal du 13e, réclame l'ouverture d'une école ce nouveau quartier (et aussi d'un lycée pour le 13e qui en est dépourvu). Ce sera l'école de la rue Kuss.
- Construction d'un groupe scolaire rue Küss (1931)
- Inauguration du groupe scolaire de la rue Kuss (Le Matin - 30 septembre 1934)
- Le groupe scolaire de la rue Kuss (Beaux-arts - décembre 1934)
Le nouveau groupe scolaire était présenté comme le plus moderne de Paris. C'était certainement vrai mais on n'ignorait pas que sa localisation présentait certains inconvénients dont la proximité du chemin de ceinture n'était pas le principal. Au delà des rails, à une centaine de mètres, l'usine Gnome et Rhône tourne à plein régime, c'est le cas de le dire, puisqu'une dizaine de bancs d'essai de moteur d'avion y sont en fonctionnement et "font un bruit effroyable incommodant les habitants de tout le quartier" (Le Populaire, 29 juin 1933). Néanmoins, on en est très fier.