L'image du jour
L'entrée de la cité Doré sur la place Pinel était situé à gauche.
UNE ÉVOCATION DU
13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Littérature
La vague rouge
(Roman de mœurs révolutionnaires)
J. H. Rosny Ainé
[...]
Salut !
Il passa lentement à travers les rangs des consommateurs, et disparut au fond de la rue obscure. Il laissait une trace dans les cerveaux, une image singulière, approfondie par les circonstances, par la disposition des esprits, par une apparition brusque, nette et opportune :
— Qui que c'est ? demanda Pouraille.
— Ça doit être un type de la Confédération générale du travail, répondit un typographe.
L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris. Des lumières, encore mystérieuses, justifiaient tous les rêves des contes, tous les frissons d'une immense et terrible réalité :
— La terre des esclaves ! grommela l'homme.
Sa voix était calme, une joie lente enflait sa poitrine. Il aimait la vie. Même lorsqu'il criait des paroles amères ou que la révolte animait son geste, il était dans un beau roman, inépuisable et frais. Comme les vrais optimistes, il songeait à peine au passé, effleurait le présent et s'élançait dans le futur. Il n'apercevait pas la mort ; il ne voyait pas même la vieillesse. Il n'en croyait que son jarret inlassable, le feu rapide de sa pensée, les battements d'un cœur flexible et fort. La souffrance passait sur lui en pluie féconde ; sa colère était un bienfaisant orage.
Puis, il avait cette forte illusion de marcher contre les grands évènements qui circonscrivent la menue circonstance humaine : il ne sentait jamais qu'il était la ride d'un flot, il se croyait le flot même.
Ses convictions, fixées en lui comme des écrous, l'accompagnaient dans la joie comme dans la tristesse, devant une rue comme devant un fleuve. Et il était si sûr que les peuples se délivreraient un jour !
Le vent soufflait, insinuant et velouté ; une haleine d'herbes alternait avec les senteurs de crottin, d'asphalte suri, de chair humaine. L'homme grimpa la Butte, et, par la rue des Cinq-Diamants, atteignit l'avenue d'Italie. Une crapule terne pullulait dans les assommoirs. Un concert fulgurait de globes violets et lilas. Et l'on apercevait les pâles poissons tapis dans les encoignures, tandis que des marmites aux cheveux provocants tanguaient sous les réverbères. L'homme jugea ce spectacle effroyable, mais il le considéra avec plaisir. Ensuite, rétrogradant, il pénétra dans la rue Bobillot.
Au sixième d'une maison de coin, il trouva une vieille femme, un homme de trente-deux à trente-cinq ans et un petit garçon qui l'attendaient. C'était une chambre peinte, à la base, du chocolat rougeâtre qui plaît aux marchands de vin. Plus haut, s'étalait un papier crème et carotte ; des oiseaux croupissaient parmi des feuillages, des épines et des tournesols. Le plafond comportait deux fausses poutres. Une table longue, fortement campée, était couverte de laine sinople ; sous la lueur éparse d'une lampe à colonne, on apercevait des livres ouverts pour la veillée : les Animaux excentriques, le Procès de la Brinvilliers, les Aventures de Friquet dans la Sierra.
La vieille femme, l'homme et l'enfant se pressaient devant le survenant, avec des visages hilares.
À cause de la dissimilitude des sexes et des âges, leur ressemblance avait quelque chose d’effrayant et de baroque. C'étaient les mêmes visages à pans — trois pans pour les fronts, quatre pour les mâchoires et les joues. Une peau saumonée s'accrochait autour des nez en poivrière. Ils ouvraient des yeux concaves, et comme tapissés de suie, des lèvres grenues, couleur de foie chez la vieille femme, fraise des bois chez l'homme et merise chez l'enfant.
Une moustache poussiéreuse, pareille à un rouleau de fils de la Vierge, chenillait sur la lèvre de l'homme ; la femme, à la même place, montrait une mousse falote. Tous trois avaient du poil de brebis sur la tête, vieil argent chez l'une, tabac turc chez l'autre, et presque citron chez le troisième. Leurs mains, d'une structure fine et d'une mobilité expressive, allongeaient des doigts rouges ; ils avaient les épaules en pente de toit, les muscles maigres et rapides.
— On ne t'attendait plus, mon François, dit la vieille en se jetant à son cou.
[...]
Derrière le nom de J.-H. Rosny se cachaient les frères Joseph Henri Honoré Boex (1856 - 1940) et Séraphin Justin François Boex (1859 - 1948), tous deux nés à Bruxelles. Après leur séparation en 1908 — l’année de la présente nouvelle — ils poursuivirent des carrières l’un sous le nom de J.-H. Rosny aîné, l’autre sous celui de J.-H. Rosny jeune. J.-H. Rosny aîné est aujourd’hui considéré comme l’un des précurseurs de la science-fiction.
Le 13e en littérature
La boulangerie socialiste de la rue Barrault
par
Jean Vignaud
Jacques et sa sœur, laissant derrière eux le boulevard d'Italie, gravirent la rue Barrault. Celle-ci, flanquée d'un côté de la Butte-aux-Cailles, énorme pâté de maisons aux murs de pisé, de l'autre, d'immenses terrains couverts de roulotes peintes et d'abris en planches, s'élevait ainsi qu'un ravin poussiéreux et crevé de trous.
(1904)
Lire
La rue du Petit-Banquier
par
Honoré de Balzac
Le comte Chabert, dont l'adresse se lisait au bas de la première quittance que lui avait remise le notaire, demeurait dans le faubourg Saint-Marceau, rue du Petit-Banquier, chez un vieux maréchal des logis de la garde impériale, devenu nourrisseur, et nommé Vergniaud.
(1832)
Lire
La rue des Vignes Saint-Marcel (Rubens)
par
Victor Hugo
Ce promeneur, s’il se risquait au delà des quatre murs caducs de ce Marché-aux-Chevaux, s’il consentait même à dépasser la rue du Petit-Banquier, [...], ce promeneur hasardeux atteignait l’angle de la rue des Vignes-Saint-Marcel, latitudes peu connues.
(1862)
Lire
La cité Doré
par
Charles de Vitis
À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.
(1899)
Lire
La Butte aux-Cailles
par
Jules Lermina
Il est sur la rive gauche de la Seine, au-delà de la rue Mouffetard et de la Montagne-Sainte-Geneviève, un lieu étrange, sauvage...
(1877)
Lire
En remontant le boulevard de l'Hôpital
par
Eugène Bonhoure
Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait...
(1889)
Lire
La rue des Cinq-diamants
par
Jules Lermina
Un plus érudit découvrira l'origine de ce nom singulier, la rue des Cinq-Diamants.
L'étude consciencieuse qui a été faite pour le vieux Paris tentera quelque explorateur des anciennes banlieues annexées : et quel champ plus vaste sera offert à sa curiosité que l'étrange et hideux quartier de la Butte-aux-Cailles ?
(1881)
Lire
Saviez-vous que... ?
Le marché aux chevaux du boulevard de l'Hôpital s'y installa le 1er avril 1878 revenant ainsi à proximité de son emplacement initial où il avait été installé une première fois au XVIIe siècle et dont il avait été chassé en 1866 pour permettre l'achèvement du boulevard Saint-Marcel.
Entre ces deux périodes le marché aux chevaux était implanté sur le boulevard d'Enfer, futur boulevard Raspail, non loin du boulevard du Montparnasse, sur un terrain rejoignant le futur boulevard Edgar Quinet, alors boulevard de Montrouge.
*
* *
C'est en 1888 que le conseil municipal de Paris décida que la rue ouverte entre la rue de Tolbiac et la rue Baudricourt, prendra le nom de rue Larret-Lamalignie.
Larret-Lamalignie, capitaine de frégate, se fit sauter la cervelle plutôt que de rendre en 1871, le fort de Montrouge qu’il commandait.
*
* *
C'est sur l'insistance d'Émile Deslandres représentant du 13e arrondissement que le conseil municipal de Paris accepta de conserver le nom cinq fois séculaire des Reculettes à la rue résultant de l'élargissement de cette ruelle si pittoresque.
*
* *
La voie romaine allant de Lutèce à Lugdunum légua son tracé à l'avenue de Choisy. En juin 1906, à l'angle de la rue de la Vistule, on mit à jour cette voie romaine sur une longueur de 14 mètres et une largeur de 8 mètres et l'on vit son pavage formé par deux rangées de moellons bruts superposés avec des joints contrariés.
L'entrée de la cité Doré sur la place Pinel était situé à gauche.