Un marché de banlieue
Le Monde Illustré — 20 juillet 1872
En sortant de Paris par la porte d'Italie un dimanche ou un jeudi, on se trouve immédiatement entouré de mendiants, d'aveugles, d'estropiés, de saltimbanques. C'est l'avant-garde du marché, qui se tient sur le terrain compris dans la zone des fortifications sur la route d'Ivry.
Le marché est un des plus misérablement pittoresques que la banlieue maintient encore. Nulle part on ne voit un public d'acheteurs et de maraîchers d'une telle pauvreté.
Pauvreté qui d'ailleurs est fidèlement reflétée par les marchandises.
Des légumes flétris, du beurre et du jambon, dont l'odeur ne laisse aucun doute, des œufs qui datent du siège, des lapins douteux, — voilà la composition de tous les étalages. Çà et là, quelques escargots, friandises dont la vue seule inspire le dégoût.
Hors de ces diverses provisions de bouche, il y a foule d'objets en vente dont la classification serait extrêmement difficile. Il y a là de vieux chapeaux, des souliers, des ustensiles de jardinage, des bouquins, du Iain d'épice, de la vaisselle ci beaucoup de ferraille. — Tout, cela est d'occasion et paraît sortir de la hotte d'un chiffonnier. La terre est jonchée d'images, encadrées ou non, de poupées sans jambes ou sans têtes, - l'enfant du pauvre n'y regarde pas de si près. — Cet assortiment, est couvert de poussière ou de boue, selon le temps.
Il est à noter que les marchandises, malgré leur peu de valeur, sont, offertes à un prix presque égal à celui des magasins de Paris. — Mais aussi on a ici le plaisir de marchander, et on obtient des rabais de 90 p. 100. Les vendeurs, cependant, ont l'air content du chiffre des affaires. Ils traitent d'ailleurs leurs marchandises avec le dédain qu'elles méritent. Le vent emporte-t-il les images ou les chapeaux, la marchande attendra patiemment qu'une de ses voisines ou un passant les lui rapporte.