Un meurtre
Rue Baudricourt — Un mari jaloux — Un rival de cinquante ans — Deux coups de couteau — Mort de la victime.
Le Matin — 30 aout 1904
La rue Baudricourt a été hier soir le théâtre d'un drame passionnel. Un nommé Armand Féler, journalier, âgé de trente-quatre ans, a tué de deux coups de couteau un ouvrier serrurier, Napoléon Stevenotte, âgé de cinquante ans.
Armand Fêler s'était marié, il y a quelques années, avec Marguerite Lenfant, de cinq ans plus jeune que lui. Très uni, le ménage occupait, au 71 de la rue Baudricourt, un logement d'un loyer annuel de 250 francs. Le mari travaillait dans une usine du quartier et rapportait régulièrement sa paye à sa jeune femme. Celle-ci était employée dans une usine du boulevard de la Gare. C'eût été le bonheur si Fêler ne se fût montré d'un caractère violent et jaloux.
Le mari, depuis quelque temps, avait pris ombrage des visites que M. Stevenotte, un vieil ami de la famille, faisait à sa femme. Il lui avait même consigné sa porte. Très gaie et très enjouée, Mme Fêler ne faisait que rire des soupçons de son mari.
« — On n'est pas jaloux d'un homme de cinquante ans » lui disait-elle en riant.
Au moment où, hier soir, vers sept heures, il regagnait son domicile, le journalier aperçut, à quelques pas de sa maison, Stevenotte et sa femme en conversation animée.
Il s'avança, la menace à la bouche :
« — Veux-tu te dépêcher de rentrer ? » dit-il à sa femme en la saisissant par le bras.
Napoléon Stevenotte voulut intervenir.
« — Ah c'est comme cela ! T'u prends sa défense, maintenant ? Je vais t'apprendre à t'occuper de ce qui te regarde ! »
Et avant que le vieux serrurier eût pu se mettre sur la défensive, il recevait en pleine poitrine deux terribles coups de couteau. Il tomba à la renverse sans pousser un cri, frappé à mort, et expira peu d'instants après.
Les témoins de cette scène tragique s'emparèrent du meurtrier qu'ils conduisirent au bureau de M. Yendt, commissaire de police.
Le corps de M. Stevenotte a été transporté à la Morgue, aux fins d'autopsie.
L'arme qui a servi à commettre le crime, n'a pu être retrouvée.

Sur la rue Baudricourt
Mais peut-être ignorez-vous la rue Baudricourt ; les Parisiens sérieux ne fréquentent guère les « au-delà » de la place d'Italie, cette espèce de faubourg de province avec ses maisons basses, plantées de guingois parmi des terrains vagues, ses enfilades de palissades et de murs que le printemps hérisse d'une chevelure de feuilles, ses granges qui, à même la rue, vous déversent de la paille et des poules. La rue Baudricourt est perdue quelque part là-dedans.
R. Archambault (1930)
La rue Baudricourt est une fraction de l'ancien chemin du Bac qui allait de l'avenue de Choisy jusqu'à la rue du Chevaleret, les voies du chemin de fer d'Orléans ayant coupé son prolongement vers la Seine. Elle reçut son nom par décret impérial en date du 2 octobre 1865.
La rue Baudricourt comporte trois tronçons nettement distincts : entre l'avenue de Choisy et l'avenue d'Ivry, entre l'avenue d'Ivry et la rue de Tolbiac, entre la rue de Tolbiac et la place Nationale.
Des écoles furent édifiées le long du tronçon central à partir de juillet 1871. Celui-ci sera ensuite marqué par son voisinage avec la gare des marchandises de Paris-Gobelins, ouverte en 1903, qui fut une source de nuisances notamment olfactives.
Évocations
Faits divers
