Les chiffonniers s’amusent… (*)
Le Petit Journal — 17 octobre 1867
Vous rappelez-vous la scène du Chapeau de paille d'Italie où à toutes les fenêtres de la place Baudoyer apparaissent les habitants en costume de nuit, portant chacun un flambeau à la main et cherchant à s'expliquer le bruit qui se fait au-dessous d'eux ?
Cette scène se répétait hier soir, vers onze heures, dans la rue Harvey (13° arrondissement).
Des clameurs stridentes, accompagnées de bruits métalliques aussi désagréables qu'étranges, avaient éveillé dans leur premier sommeil tous les habitants, qui étaient accourus aux fenêtres pour savoir d'où venait le vacarme.
Il était produit par une réunion de chiffonniers qui, en sortant du cabaret, où ils avaient fait une ample consommation de vin et de liqueurs, avaient eu l'idée de s'amuser.
Ils s'étaient donc mis à chanter à tue-tête, en marquant le refrain de leurs chansons au moyen de seaux en zinc qu'ils frappaient les uns contre les autres, à la manière des cymbales ou des crotales antiques.
Des sergents de ville accoururent et prièrent ces musiciens improvisés de vouloir bien mettre fin, sans retard, à leur sérénade en ferblanterie.
Ils obéirent, à l'exception d'un seul, nomme D… qui trouva que les sergents se mêlaient de choses qui ne les regardaient pas. Pour le leur prouver, il ôta brusquement ses lourds souliers ferrés et les lança tous les deux à la tête des agents.
Les sergents continuant à se mêler, malgré les protestations de D... des affaires d'autrui, l'arrêtèrent et le consignèrent à la disposition de M Lebrec, commissaire de police.
(*) Le titre a été ajouté (NdE)
Rue Harvey
Le 21 juin 1889, le journal l'Égalité écrivait :
" C’est dans le treizième arrondissement, quartier de la Salpêtrière, que se trouve la rue Harvey,
autrefois rue de l’Hôpital.
C’est assurément une des plus curieuses et des plus pittoresques voies du Paris pauvre
et misérable."
Pour Maxime du Camp, elle était "l'horrible rue Harvey, qui est un cloaque bordé par des antres sans nom." (Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde motié du XIXe siècle)
Un peu d'histoire
La rue Harvey (165 mètres, entre la rue Nationale, 163, et la rue du Château-des-Rentiers, 206) fut ouverte en 1847 sous le nom de ruelle Saint-Honoré ; plus tard elle devint la rue de l'Hôpital. Par décret du 24 août 1864, elle devint la rue Harvey, en souvenir de William Harvey (1578-1657), médecin de Charles 1er, qui découvrit les lois de la circulation du sang (1576-1657). — Petite histoire des rues de Paris (1913)
La rue de l'Hôpital avait pour caractéristique, eu égard à sa situation hors de Paris avant 1860, au delà de la Barrière des Deux-Moulins de concentrer en son sein des marchands de vin et un dizaine de maisons publiques c'est-à-dire de maisons de prostitution comme le soulignaient Philippe Doré dans sa "Notice administrative, historique et municipale sur le XIIIe Arrondissement" ou les journaux quand il s'agissait d'évoquer cette rue qui, au fil des nouvelles, apparaissait dangereuse.
Plus tard, après l'annexion, la rue Harvey fut aussi le siège des activités de dizaines de chiffonniers et de petites industries. La mauvaise réputation de la rue persista voire même, s'amplifia dans les premières décennies du XXe siècle.
Après la première guerre mondiale, le peuplement de la rue Harvey changea, les chiffonniers qui l'occupèrent un temps presque exclusivement, se trouvèrent remplacés par la main d'œuvre immigrée de la raffinerie Say voisine ou de l'usine Panhard plus lointaine.
La rue Harvey disparut complètement en 1960 avec la destruction de l'ilôt 4. Apparemment, rien ne perpétue son souvenir à son emplacement.
Sur la rue Harvey
Faits-divers d'avant l'annexion
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1850
- Un assassinat aux Deux-Moulins - 1851
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1852
- La fabrique d’allumettes prend feu - 1853
- La fabrique d’allumettes prend feu (bis) - 1854