Littérature

 La butte-aux-Cailles vue par Jules Lermina

La Butte-aux-Cailles

vue par Jules Lermina

Extrait de "Les Loups de Paris. — Les assises rouges" (1877)

VI

La rivière morte

La nuit était épaisse.

Des rafales de vent couraient sur Paris, mêlant leur voix sinistre au murmure sourd qui monte, dans les ténèbres, de la grande ville endormie.

Minuit venait de sonner.

Il est —aujourd'hui encore – sur la rive gauche de la Seine, au-delà de la rue Mouffetard et de la Montagne-Sainte-Geneviève, un lieu étrange, sauvage, qui ressemble à ces vastes espaces de l'Asie, que l'imagination de nos ancêtres croyait avoir été désolés par quelque cataclysme vengeur, à ces terres maudites sur lesquelles se serait abattu, au jour de la colère divine, le feu du ciel irrité.

Qu'on ne prenne pas ces quelques lignes pour une de ces hyperboles familières au romancier ; les faits qui se dérouleront dans les chapitres qui suivent ont pour théâtre des lieux inconnus des Parisiens, trop affairés ou trop insouciants pour quitter le centre de leurs occupations.

À l'époque où se déroule le drame que nous racontons, Paris était encore enserré dans une ceinture de murs noirâtres, coupés par les barrières monumentales dont quelques spécimens sont encore debout – aux docks de la Villette on à la barrière d'Italie. La ville étouffait sous la pression de ce carcan, et cependant à peine osait-on franchir ces portes s'ouvrant sur la banlieue dont le renom avait un caractère effrayant, comme tout ce qui est inconnu. Au-delà des quelques guinguettes, des restaurants à bon marché qui venaient s'établir aux dernières limites de l'octroi, ce n'étaient plus – surtout sur la rive gauche — que masures, ruelles boueuses, cités de misère et de crime. La banlieue était un refuge, nous allions dire un lieu d'asile.

L'action de la police y était difficile, la surveillance presque nulle…

La Butte-aux-Cailles – notamment – était le repaire de milliers d'individus chassés de la vie sociale, se cachant comme des fauves, sans cesse guettant l'occasion de se jeter sur la ville, qui excitait d'autant plus leur envie criminelle qu'ils en étaient plus éloignés.

Cette Butte-aux-Cailles existe encore – assainie relativement, il est vrai – mais toujours étrange. La colline monte avec une pente rapide, puis tout à coup elle tombe presque à pic, et, du sommet du monticule, à l'extrémité des dernières ruelles qui serpentent jusque à la cime, on voit se déroulant une vaste plaine sans végétation, sans maisons, sur laquelle quelques baraques délabrées font à peine une tache sombre…

Plus loin encore. Descendons.

Le sol de la plaine est creusé de cloaques, crevassé de fondrières dans lesquelles dort une eau bourbeuse et corrompue. Une odeur âcre vous saisit, c'est comme un étourdissement. De ces sentines infectes s'élève un brouillard jaunâtre dans lequel tourbillonnent des milliers d'insectes immondes…

Plus loin encore, le premier bras de la Bièvre, qui roule son eau brune et glauque. Quelques bâtiments se dressent sur la rive sèche hangars à poutres mal équarries, auvents soutenus sur des montants taillés à coups de hache et qui semblent les membres de quelque animal singulier ; tanneries, teintureries, lavoirs, largement espacés et qui semblent moisis comme s'ils étaient inexploités, tandis qu'au lointain se profile la silhouette de Bicêtre.

Puis, sur l'autre bord, la plaine recommence, irrégulière, brutale dans ses accidents. Ici, c'est une sorte d'îlot. Car la Bièvre s'est divisée en deux bras. Le sol est encore plus aride, plus triste ! Enfin, nous voici à ce second ruisseau formé par la Bièvre. Qui lui a donné ce nom effrayant la Rivière morte ?

Jamais appellation sinistre ne fut mieux justifiée. On y respire comme une odeur cadavérique. C'est silencieux et morne. Plus de fabriques. Il y a paralysie de la nature et de l'homme. Regardant la Rivière morte, on croirait qu'elle ne coule pas ; elle a des reflets d'acier et semble une de ces plaques métalliques sur lesquelles le feu a laissé la trace de ses morsures.

Cette nuit-là– nous l'avons — dit le temps était sec. Un vent aride pompait les dernières humidités du sol. Le ciel, chargé de nuages, ne laissait pas filtrer un seul rayon de lumière.

Sur les bords de la Rivière morte, il y eut jadis des tanneries ; mais les bâtiments ont disparu. Seules, quelques fosses subsistent, comblées peu à peu par les détritus de toutes sortes dont les déchargeurs viennent remplir les excavations du sol.

Dans une de ces fosses, transformée en terrier humain, trois hommes étaient réunis, accroupis sur un monceau de débris animaux ou végétaux, et éclairés faiblement par une lanterne qui jette un reflet jaunâtre.

Ces hommes, nous les connaissons.

L'un était grand, fort, aux formes athlétiques c'était Diouloufait, l'ancien compagnon, le complice de Biscarre, l'évadé de Toulon. Les deux autres ont déjà paru au cabaret de l'Ours dans cette matinée où Jacques, ivre de liqueurs, se croyait le jouet d'un songe.

C’est Bibet, dit la Curée, et Truard.



Jules Lermina (1839-1915)

Jules Lermina, né le 27 mars 1839 à Paris et mort le 23 juin 1915 à Paris, fut un romancier et journaliste. Il contribua à la création et au fonctionnement de la Bibliothèque populaire des Amis de l’Instruction du Treizième arrondissement qui était installée dans la Cité des Gobelins.
Lermina avait théorisé, dès 1861, un vaste projet de bibliothèques de quartier : <br>"Notre Bibliothèque contiendra tous les livres d'un usage journalier, toutes les œuvres qui peuvent être d'un secours réel au travailleur consciencieux : c'est dira qu'elle réunira, autant du moins que ses ressources le lui permettront : Les littératures française et étrangère, moderne et ancienne ; l'histoire ; la morale et la philosophie ; l'économie sociale et politique ; les sciences abstraites ; la linguistique.
Parmi les publications modernes, elle rejettera les romans, et autres œuvres d'humour (autrement dit de blague)".

Madame Sept-Quatre (1873, sous le nom de William COBB)

Les loups de Paris (1876)

La Criminelle (1881)

Le 13e en littérature

Rue du Dessous-des-Berges

La dame de pique

par
Jules de Gastyne

Il existe à Paris, dans les quartiers perdus, des rues mornes et désertes qu'on traverse avec un sentiment de stupeur.

(1906)

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A travers la Maison-Blanche

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

par
Lucien Victor-Meunier

Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...

(1907)

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La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Saviez-vous que... ?

La rue du Tibre, dans le quartier Maison-Blanche, a été ouverte sur l'emplacement d'une voirie d'équarrissage, elle a porté le nom de rue de la Fosse-aux-Chevaux, puis du Tibre, à cause de la Bièvre autour de laquelle ont été groupés des noms de fleuves.

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L'hôpital de Lourcine (111 rue de Lourcine) était consacré au traitement des femmes atteintes de maladies secrètes et comptait 276 lits. Des consultations gratuites étaient données de 8 à 9 heures les mardis, jeudis et samedis.

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La société des fourneaux de Saint-Vincent de Paul, le 5 novembre 1897 ouvraient, comme chaque année, ses fourneaux (au nombre de 26 en 1897) qui restèrent ouverts jusqu’au 30 avril 1898, tous les jours non fériés, de huit heures à onze heures du matin. Trois d'entre eux étaient situés dans le 13ème : 45 rue Corvisart, 35 rue de la Glacière et 87 bis rue Jenner.
Avec un bon de dix centimes, les malheureux recevaient une portion de pain, bouillon, viande, légumes, etc. enfin, de quoi se réconforter.
Ces établissements charitables étaient dirigés par les Sœurs.

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Par suite de la rupture d'une conduite, une fuite de gaz se produisait, le 19 mars 1897 dans l'après-midi, en face du n°59 du boulevard Arago.
Bien que le gaz s'échappaît à l'air libre, deux passants furent à demi asphyxiés et durent être transportés à l'hôpital Broca.
Les pompiers du poste de Port-Royal obturèrent‚ provisoirement la fissure avec de la terre glaise, en attendant une complète réfection.

L'image du jour

Place Pinel