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 Les mensonges des patrons mégissiers - 1911

La Bièvre et ses riverains

Les mensonges des patrons mégissiers

Les vérités qu’il faut dire

L’Humanité — 12 juin 1911

Le citoyen Deslandres, conseiller municipal socialiste de Paris, aura rendu un service signalé au quartier de Croulebarbe, en obtenant de la Ville qu'elle recouvre et transforme en égout les deux bras de la Bièvre qui traverse le passage Moret à ciel ouvert.

Ai-je bien rendu dans mon deuxième article d'informations sur les quartiers insalubres, l'impression de dégoût que l'on éprouve à la vue de cette eau noire et stagnante qui exhale au soleil d'inqualifiables odeurs. Les usines des hauteurs de Versailles d'où elle descend l'ont chargée en route de tous leurs déchets, de toutes leurs immondices industrielles. La petite rivière est saturée en arrivant à Paris. Les mégissiers qui y trempent leurs peaux n'ajoutent au relent de ses eaux immondes qu'une odeur spéciale qui pique un peu les narines, mais qui, toute seule, serait peut-être inoffensive pour les poumons. Les habitants du passage Moret, qui n'ont pas de tout-à-l'égout, peuvent impunément polluer cette horreur. La Bièvre puante possède en atteignant le passage Moret, son maximum de puanteur. Elle est à point pour être respirée par les habitants du quartier.

La Bièvre à proximité de l'île aux singes (passage Moret) et du boulevard Arago

Les caprices de la Bièvre

Cette eau de marécage a d'extraordinaires caprices. Elle s'enfle terriblement, au long des coteaux qu'elle arrose, sous la ruée des orages, et déborde dans tout le passage où elle dépose les ordures denses qu'elle tient en suspens.

Les patrons mégissiers se désolent-ils de ces inondations qui ne vont pas au delà du passage Moret ? Non pas. Ils s'en félicitent. Ils connaissent depuis longtemps et pratiquent l'art de multiplier les chiffres des dégâts qui se traduisent par des indemnités. M. de Selves pourrait nous dire ce que ses prédécesseurs et lui ont payé pour n'avoir pas voulu faire de la Bièvre un égout. La note doit être lourde.

La Ville a pris depuis quelque temps des précautions contre les orages qui gonflent la Bièvre et la font déborder. Elle est vidée tous les soirs par un système de vannes qui lui livrent passage dans le grand égout collecteur. Les égoutiers descendent tous les samedis dans le dit à sec et poussent vers l'égout, sous leurs raclettes, la bourbe du fond.

Ces précautions tardives, assez mal vues des patrons mégissiers, n'empêchèrent pas tout récemment la petite rivière, qu'un orage avait démesurément grossie pendant la nuit sur les hauteurs, de remplir son lit rapidement et de déborder cette inondation fut une, bonne aubaine, comme les autres.

La mise en pratiqua de la proposition de notre ami Deslandres n'est donc pas seulement une mesure d'hygiène publique. Elle délivre la Ville d'une, véritable obsession. Elle allège le budget, pour l'avenir, dans des proportions considérables qu’il est impossible d’évaluer.

Les ruses capitalistes

Les patrons mégissiers de ce quartier sont de madrés compères qui ne perdent pas le Nord. Toucheront-ils une indemnité à titre de riverains de la Bièvre que l'on va couvrir l’an prochain ? Sans doute ; bien qu'ils ne la méritent guère Mais ils auraient voulu faire croire que cette ordure liquide avait des qualités spécifiques pour la préparation de leur matière industrielle. Ils avaient émis la prétention d’être indemnisés également pour la suppression de leur industrie, royalement indemnisés ;

Louis Vert - Séchoir de Peaux Lapins passage Moret (février 1904)
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet

Cette prétention était vraiment exorbitante. Les travaux de couverture de la Bièvre ne peuvent atteinte à leur industrie. Comme d'autres mégissiers de la rue Croulebarbe qui se trouvèrent autrefois dans leur cas, ils auront l'eau de la Seine dont ils pourront remplir leurs cuves, leurs bassins, et qui sera tout aussi bonne sinon meilleure pour la préparation de leurs peaux, que l'ordure liquide où ils les trempent aujourd'hui.

Lorsque les patrons mégissiers qui bordent la Bièvre disent à leurs ouvriers que leur industrie est menacée par les travaux prochains, ils mentant avec impudence. Au lieu de souffler leurs mensonges aux pauvres gens dont le labeur les enrichit, ils feraient mieux d’améliorer leur outillage suranné et de dépenser le nécessaire pour lutter contre les mégissiers américains et allemands dont la concurrence les écrase.

La crise intense qui sévit dans la corporation des « cuirs et peaux » est due en majeure partie à l'esprit routinier et rétrograde du patronat avare qui n'a pas su ou voulu transformer à fond les vieux modes de fabrication. Le mal de la surproduction aggrave encore cette crise et la complique Oui, mais il est l'œuvre des concurrents étrangers qui fabriquent mieux, bien mieux, plus vite et surchargent le marché français. Encore quelques années et tout ce quartier de Croulebarbe, qui était autrefois plein de vie et de mouvement, sera devenu un coin de nécropole par la faute des patrons français qui laissent agoniser cette industrie.

Parlons franc

Le Conseil municipal ne sera pas la dupe de gens qui veulent se graisser les pattes dans les travaux d'assainissement du quartier. Leur industrie n'est pas menacée par la couverture de la Bièvre aux eaux putrides.

La Bièvre a été couverte en d'autres endroits. Les mégissiers qui la bordaient ne sont pas partis. On leur a fourni l'eau, de Seine qui est plus claire, plus vive, moins puante. Ils y trempent leurs peaux et s'en trouvent bien.

Voilà ce qu'il est nécessaire de dire aux ouvriers, s'ils craignent d’être jetés aux durs hasards du chômage qui sévit déjà dans leur corporation. Si tels ou tels patrons fermaient leur usine au moment où la Bièvre rentrera dans le régime des égouts, c’est qu’ils n'auront pas voulu accomplir le moindre effort pour s'approvisionner de l'eau de Seine qui leur est offerte, c’est que leur avarice rechignera.

Les riches Harpagons des « cuirs et peaux » ont cependant gagné assez d'argent avec la population ouvrière qui remplissait autrefois ce quartier. Ils veulent en gagner encore. Ils ne s'en iront pas. Et s’ils veulent s’en aller ? Eh bien qu’ils s’en aillent sous les malédictions des travailleurs qui les ont engraissés. Peut-être laisseront-ils la place à d'autres qui seront moins âpres au gain, plus probes à la fois et plus hardis.

Les travaux de couverture de la Bièvre auront nécessairement pour conséquence la disparition rapide des masures et des taudis du passage Moret où s'étale la rivière empuantie. Le propriétaire actuel des 5.000 mètres carrés du passage, en prévision de la percée qui doit joindre la rue des Cordelières au boulevard Arago par la ruelle des Gobelins, a lancé déjà son appel. Les acheteurs viendront pour spéculer à leur tour et construire sur ce terrain assaini. Ils se hâteront de jeter bas l’usine noire et délabrée où l'on prépare des peaux de lapins, la bicoque pleine de vermine où un hôtelier loge des « marmiteux » a cinq sous la nuit, le refuge des chiffonniers .et les autres masures ténébreuses et branlantes.

Que fera la Ville sur les terrains qu'elle aura expropriés ? Les livrera-t-elle aux spéculateurs ? Le moment sera venu d’y commencer l'application de son programme dont M. Félix Roussel a parlé en excellents termes dans son discours d'ouverture de la session. Elle aura l’occasion de donner le ban exemple en construisant elle-même ces premières maisons de progrès où les travailleurs pourront se loger à l'aise et à bon compte, d'entamer, par surcroît, la lutte du bien public contre la horde rapace des propriétaires qui pressurent scandaleusement la population, de dresser une première digue contre la hausse continue des loyers. C'est alors que la bienfaisante proposition de notre ami Brunet et de ses collègues socialistes du Conseil municipal prendra toute sa force. C'est alors-que nous saurons si la Ville de Paris est vraiment résolue à entrer dans la voie hardie où d'autres grandes cités l’ont précédée. Ce temps est proche.

A.-M. Maurel

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Paris comptait 140 cités ou villas en 1865. Parmi celle-ci la cité Doré "formée de murailles en plâtras, en planches, occupée par les chiffonniers les plus pauvres du 13eme arrondissement" selon le guide de M. Joanne.

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Gustave Geffroy (1855-1926) fut directeur de la Manufactures des Gobelins. Il n'est donc pas anormal que la rue qui porte son nom soit située tout près de celle-ci.

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C'est le 11 juillet 1906 que le conseil municipal de Paris vota le transfert du marché aux chevaux du boulevard de l'hôpital à Brancion, nouveau marché ouvert depuis 1904.

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C’est en 1884 que l’on décida de donner le nom de Martin-Bernard, né à Montbrison le 17 septembre 1808 et mort à Paris, dans la maison de santé Dubois où il résidait, le 22 octobre 1883 à la voie nouvelle en construction reliant la nouvelle rue Bobillot à la rue de Tolbiac.
Opposant politique du second empire, il fut élu député de la Seine en févier 1871 et ne participa pas à la Commune. Aucun aspect de sa vie ne paraît le rattacher au 13e arrondissement.
La voie qui allait devenir la rue Huygens dans le 14e face où cimetière du Montparnasse où il repose, fut un temps évoquée pour honorer sa mémoire.

L'image du jour

Angle boulevard de L'Hopital, rue Jenner

L'immeuble à droite constituait la proue de l'ilôt formé par la rue Jenner, le boulevard de la Gare et la rue Esquirol et qui comprenait la Cité Doré. Il disparut avec le percement du tronçon Gare - Hôpital de la rue Jeanne d'Arc