Promenades

 La rivière enchantée

La Tournée

VI. - LE FAUBOURG SOUFFRANT

La rivière enchantée

Un chapitre de l'histoire de Paris demeure à écrire, c'est celui des rivières de Paris. On ne connaît bien que la reine, je veux dire la Seine. Les autres, hormis la Bièvre, on n'en parle guère.

Les rivières « secondes », dans les villes, ont un charme particulier. On les abandonne. Elles vivent cachées, à l'ombre des vieux murs. Il semble qu'elles portent de la solitude à fleur d'eau et du silence qui empoudre leur tain. La Bièvre fut ainsi. L'eau de Robec, à Rouen, est tout de même cachée et à l'abandon.

Les rivières de Paris ont, une à une, disparu. La Bièvre a tenu longtemps. Il n'y a place que pour les forts. Le ruisseau de. Ménilmontant, la Grange-Batelière, la Noue, dite Petite-Seine, sont défunts. Au fait, hormis la Bièvre, ils n'ont eu guère de vie propre. La ville perpétuellement croissante a emprunté leurs lits pour en faire des exutoires. On a cru à leur vigueur : ces rivières n'étaient que des servantes passives- Elles n'étaient point des artères, des vaisseaux, mais des intestins, des boyaux. Il a fallu les couper, les nettoyer, enfin les abolir.

Ruelle des Gobelins - Germain Delatousche

D'ailleurs, ces riviérettes étaient plus ou moins soutenues par la Seine. Celle à qui elles apportaient leur mince afflux, leur donnait un influx caché, une nourriture mystérieuse. La Seine, en effet, resserrée en son lit accoutumé, n'a pas toujours borné là ses ivresses..

En somme, de vraie rivière, il n'y avait, outre la Seine, que la Bièvre, à Paris. Il est vrai, elle a été comme les deux autres, abolie. Elle a tenu plus longtemps.

Un cataclysme sans grande envergure pourrait sans doute la ressusciter. Les autres, il y faudrait un tremblement de terre extraordinaire - ou simplement des inondations pareilles à celles de 1910. L'inondation d'alors reconstitua la Noue, la Grange-Batelière, et jusqu'à la Seine que j'ai dite, disparue depuis les temps de Grégoire de Tours.

De la Noue, de la Grange-Batelière, plus de trace. La Bièvre avait marqué plus profondément son chemin. Dans quelques années, il aura été efface à son tour dans Paris et il faudra aller dans les livres chercher ses méandres.

Lorsque la Bièvre avait passé le boulevard Auguste-Blanqui, elle entrait dans ce quartier des Gobelins, d'un pittoresque mêlé, dont Huysmans a fait l'inoubliable peinture et que l'on a appelé jadis le faubourg souffrant. L'un de ses bras coulait son eau ténébreuse derrière les maisons de la rue Croulebarbe, l'autre se traînait, sur des vases, dans les terrains qui appartiennent aux Gobelins, du côté de la rue des Cordelières, puis parmi les ateliers et les usines. Entre ces deux rubans fangeux, une île extraordinaire élevait des jardins gras, des masures du dix-septième siècle, des cabanes et des ateliers de mégissiers : l'île des Cygnes, qui devint l'île des Singes, et le passage Moret.

À présent, un mur ferme aux regards la vue des jardins qui dépendent séculairement de la Manufacture. Ils sont charmants, au milieu du Paris ouvrier, ornés de statues tronçonnées de déesses, de bustes ébréchés, de pierres verdies. Les lits jumeaux de la Bièvre sont maintenant comblés. De l'humus noir sort une drue végétation de fleurs et de légumes qui voisinent sans façons, au bord des allées minuscules, sous des arbres étonnés de tonnelles centenaires. Un pavillon du dix-septième siècle, celui de M. de Julienne, borne cette oasis. Il est abandonné et, dirait-on, livré aux jardiniers qui l'achèvent lentement.

La ruelle des Gobelins est faite, du côté droit, de vieilles et grandes demeures blasonnées. Les Brinvilliers, le marquis de Mascarini, les Julienne, avaient bâti là de belles habitations. Elles sont vastes, aérées, pourvues de baies nombreuses, grillagées, et on y voit se mouvoir les métiers qui composent les tapis somptueux des Gobelins. Une chapelle montre son épaule, entre les bâtisses étampées par les siècles, ses fenêtres aiguës à vitraux. L'autre côté de la rue est aux tanneurs, aux mégissiers, aux fabricants.

Tout un vieux temps était encore là il y a deux ou trois ans. L'extraordinaire passage Moret ou Ile des Singes, en effet, qui ouvre la petite porte dans ce cul-de-sac, disparaît sous les pioches. Il ne faut pas le plaindre. Il était devenu infâme.

L'île -aux-singes Germain Delatousche

Imaginez une ruelle faite de maisons basses en plâtre et en bois, étayées, pleines de retraits, de culs-de-sac, de cours à balcon de bois, d'escaliers à vis. Des séchoirs pleins de peaux racornies. Des cheminées puantes qui jettent de la suie, des machines ronronnantes qui dispersent un duvet blanc, en neige, une atmosphère de tan et d'alun. Les boutiques une à une s'y sont closes. Des marchands de vins — chambres meublées ! restaurant – avaient réussi à s'installer dans ce village de relégués.

Cette cour des miracles, aussi misérable que l'autre mais plus affreuse encore, déversait sur un pavé accidenté, creusé de rigoles médianes, des gens qui n'étaient point des truands joyeux, mais des manouvriers abrutis par d'effroyables métiers. Le commerce a fermé boutique. Les chambres meublées bâillent, sans vitres, vidées de leurs meubles, qu'on voit à l'abandon. Les restaurants ne sont plus. C'est la fin. Que devaient être ces taudis et ces gueux ?

En 1908 ou 1909, on voyait la Bièvre encore sous un pont de planches, derrière des palissades. Elle était livrée aux tanneurs qui la pétrissaient dans des cuves, la déversaient sur les peaux pourrissantes, la mêlaient de mixtures multicolores d'une puanteur non pareille. Elle passait sous le passage Moret, au coude qui mène à la rue des Cordelières, et s'en allait dans une perspective de cuves énormes, d'échafaudages noirâtres, vers des pilotis dégouttant sous la dépouille des bêtes encore fraîche ; elle courait vers des fosses de crouissage, les lavoirs de toisons, et, portant le suint de vingt troupeaux, l'acide et le tan, s'enfouissait sous le boulevard Arago.

Cette eau épaisse, immobile, marbrée et polychromée, de traînées corrosives, le blanc des chlores, le gorge-de-pigeon des oxydes, où un seul rayon figé, pesant, dormait. Eh bien ! ce n'était pas la Bièvre, ou à peine.

On sait que l'eau de Seine supplante depuis longtemps la petite rivière détournée, que des puits usurpent son lit. Ce cours d'eau damné a laissé son âme de source aux égouts antérieurs.

La ruelle des Gobelins s'achevait, il y a quinze ans, en un canal de vingt à trente mètres, où mûrissait un liquide brun chargé de lambeaux affreux, d'un aspect et d'un fumet tourdissants. C'est le moignon du second bras.

Avant qu'il se glissât sous le boulevard, par un tunnel grillagé, deux cuves, et des hommes faits comme des damnés, qui œuvraient sur les peaux pestilentes. Un pont de bois menait, par-dessus ce bouillon infernal, à la rue des Gobelins, la rue des Marmousets. Quand, sur le large boulevard, on respirait le vaste ciel de Paris, oublié toute une heure, l'atmosphère moderne, on avait l'impression de sortir d'un cauchemar.

Elie RICHARD.



La Tournée d'Élie Richard

Chapitre introductif :

Autour de la Butte-aux-Cailles :

Le Faubourg Souffrant :

Bicêtre

La Goulue



Les promenades

Les chiffonniers de la Butte-aux-Cailles

L'événement (1875)

Le boulevard Saint-Marcel et le marché aux chevaux

Paris pittoresque (1883)

La Bièvre et la Butte-aux-Cailles

Le XIXe Siècle (1887)

La Maison-Blanche

La Cocarde (1894)

La Butte-aux-Cailles

Le Courrier de Paris (1902)

De la Salpêtrière à la Maison-Blanche

La France (1908)

Les promenades
de Georges Cain


Rue de Tolbiac, un an après l'explosion

L'Heure (1916)

Les jardins des Gobelins
et l’hôtel de Scipion Sardini

Une promenade au départ de la ruelle des Gobelins

La Revue hebdomadaire (1921)

Le roman de la Bièvre
par Élie Richard

1922

Les quartiers
qui changent de visage

Une promenade à l’ancienne Butte-aux-Cailles

L'Intransigeant (1923)

Paysages parisiens
par L. Paillard

Sur la Butte-aux-Cailles

Le Petit-Journal (1925)

En villégiature à Paris

La Butte-aux-Cailles prend le frais

Le Siècle (1926)

Découvertes de Paris

Paysages tentaculaires

L'ère nouvelle (1926)

Les gosses en marge
par R. Archambault

Paris-Soir (1929)

Promenade à travers Paris

Là où jadis coulait la Bièvre

Le Matin (1929)

La Tournée
par Élie Richard

V - Autour de la Butte-aux-Cailles :

VI - Le Faubourg Souffrant :

XII - Envers de la gloire

Paris-Soir (1930)

Retour à la terre

Ce matin, au bord de la Bièvre, dans les jardins des Reculettes

L'Intransigeant (1930)

Les vestiges
pittoresques du passé

de la Butte-aux-Cailles aux Gobelins

Le Journal (1931)

Claude Blanchard

La Glacière et les Gobelins

Le Petit Parisien (1931)

Paris 1933

Le Treizième arrondissement

Le Journal (1933)

Jacques Audiberti

Les ilots de la misère

Le Petit Parisien (1937)

Saviez-vous que... ?

L'Hôpital de la Vieillesse pour femmes, autrement dit la Salpétrière, comptait, en 1860, 4422 lits dont 1341 pour les aliénées. En moyenne, par an, dans les années 1850-60 , 2100 aliénées y faisaient leur entrée et 800 y mourraient.

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La rue Henri Pape s'appelait jusqu'en 1897, rue Edmond-Valentin

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Alors que la voie de 15 mètres de large qui devait remplacer la ruelle des Reculettes dont la largeur variait de 2 à 7 mètres, aurait pu recevoir un autre nom, c'est sur l'insistance de la commission du vieux Paris pour conserver ce nom pittoresque cinq fois séculaire et sur l'intervention de M. Émile Deslandes conseiller municipal du XIIIè arrondissement que le conseil municipal de Paris décida, en 1930, de substituer simplement la dénomination de rue à celle de ruelle, pour constater cet élargissement décidé en 1910.

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C'est par un décret en date du 9 septembre 1861 que la rue militaire longeant les fortifications est devenue boulevard de ceinture et et c'est en 1864 que les 19 sections de ce boulevard reçurent un nom soit en ce qui concerne le 13e arrondissement,boulevard Masséna entre la porte de la Gare et la porte d'Italie et boulevard Kellermann entre la porte d'Italie et la porte de Gentilly. Il fallut de très longues années pour que le boulevard Kellermann fut nivellé, viabilisé puis élargi à 40 mètres.

L'image du jour

La rue du Château-des-Rentiers à la hauteur du n°169

Le passage Ricaud est immédiatement sous la droite après le marchand de vins.