Treize émeutiers de la Cité Jeanne-d’Arc ont été arrêtés hier matin
Le trop fameux Marty tente de ranimer les troubles
Le Figaro — 3 mai 1934
Du moins, retenons l’enseignement. Les bagarres de la cité Jeanne-d’Arc et celles d’AlfortviIle, après celles de Mantes démontrent péremptoirement l’existence par noyautages, d’une organisation frénétique dans la région parisienne.
L’arrestation du député communiste du 13è arrondissement, Monjauvis, que nous avons relatée, avait causé une vive effervescence dans la rue Nationale et les petites rues voisines, quartier général de ses fidèles électeurs.
Des incidents qui prirent rapidement une allure d’extrême gravité devaient se préciser tard dans la nuit et se développer.
Le prétexte en fut la sortie des garages des environs de taxis dont les chauffeurs allaient assurer leur service de nuit habituel malgré les appels à la grève générale qui avaient été strictement suivis par les communistes de l’endroit.
Des pierres volèrent dans les vitres des autos, un chauffeur fut blessé au visage, une barricade s’éleva. « Police secours » fut alertée.
À
leur arrivée, les agents furent accueillis à coups de revolver, ils durent se
replier hâtivement en attendant de nouveaux renforts, Quand ceux-ci arrivèrent,
sous la direction de M. Paul Guichard, directeur de la police municipale, on
jugea bon, pour éviter toute effusion de sang, de faire le siège de la Cité
Jeanne-d’Arc, centre de l’émeute. Des barrages de police furent installés rue
Jeanne d’Arc et rue Nationale à une distance respectable de la Cité.
Devant la tactique de la police décidée à lasser les manifestants, les plus hardis de ceux-ci sortirent des immeubles, et édifièrent une nouvelle barricade rue Nationale où ils entassèrent les objets les plus hétéroclites auxquels ils mirent le feu.
La police riposta en installant des projecteurs pour aveugler les assiégés Puis, un certain calme semblant revenu, une dizaine d’agents tentèrent use reconnaissance vers la Cité. Ils firent accueillis par des coups de feu et des morceaux de fonte ou des pavés.
Le brigadier Jamet s’écroula blessé au ventre, tandis que le gardien Génard était tout aussi gravement atteint par un morceau de fonte à la tête. Battant en retraite, les gardiens de la paix emmenèrent leurs camarades blesses, qui furent transportés à la Maison de santé des gardiens de la paix.
Les émeutiers, qui avaient déjà tiré plusieurs centaines de coups de feu, s’avancèrent jusqu’aux magasins voisins de la Cité tout en continuant à faire usage de leur armes. Ils défoncèrent les devantures de ces boutiques et pillèrent toutes les marchandises.
Il était deux heures du matin. M. Langeron prit alors la direction du service d’ordre, Il fut décidé de ne pas donner l’assaut à la Cité avant d’avoir sous la main le matériel nécessaire. La présence dans la Cité de nombreuses femmes et d’une multitude d’enfants, commandait, en effet, aux chefs de la police de n’agir qu’avec la plus grande prudence.
Vers 4 heures, les pompiers arrivèrent et mirent en batterie leurs lances les plus puissantes avec lesquelles ils inondèrent les barricades en feu. . A 4h15, les manifestants ne résistant plus a ce déluge se retirèrent des immeubles.
La police s’avança alors dans la rue Nationale, précédée de projecteurs puissants. Des inspecteurs de la police judiciaire munis de cuirasses et accompagnés d’agents revolver au poing s’engagèrent dans les immeubles de la Cité.
Treize arrestations
Treize Individus suspects, chez lesquels on avait retrouvé des armes, des pierres et des pièces de fonte qui devaient être utilisées comme projectiles furent arrêtés.
Ce sont : Émile Laborde, 17 ans, locataire d’une chambre d’où les coups de feu furent tirés et où l’on a découvert un couteau de chasse dans sa gaine ; Jean-Marie Sinquin. 30 ans, membre du syndicat unitaire du bâtiment, qui avait un revolver d’ordonnance, dix cartouches, un fusil de chasse, et a reconnu avoir tiré de la chambre de Laborde. André Noblet, 24 ans, camelot, qui aurait tiré également d’après les déclarations de Sinqin ; Georges Hilldebrand, 41 ans, manœuvre en chômage ; Étienne Polette, 33 ans, débardeur ; Julien Ménard, 48 ans, homme de peine ; Paul Linier, 41 ans, serrurier; Francois Perez, 26 ans, ajusteur ; Émile Brillant, 18 ans, tôlier ; Maurice Laborde, 18 ans, frère de Laborde Émile : Jean Esperden, 28 ans Marceau Delavallèe, 27 ans, et Jean Dhubert 37 ans.
Tous ont été conduits à la direction de la police judiciaire.
L’interrogatoire
Interrogés par M. Marcel Guillaume, commissaire divisionnaire, les apaches — quel autre nom — ont avoué qu’ils avaient eu l’intention d’assiéger le poste de police où le député communiste Monjauvis fut conduit après son arrestation, qui eut lieu, commue noua l’avons dit, dans la matinée du 1er mai, à la porte d’une usine d’automobiles avenue d’Ivry.
En groupe, ils se dirigeaient vers le poste du passage Ricault lorsqu’ils furent dispersés vers 21 heures, par des forces de police dirigées par M. Caulet, commissaire chef du treizième arrondissement. Ce magistrat, au cours de la bagarre fut même très légèrement blessé.
À 23 heures, à la suite d’une bagarre plus violente, des renforts de police arrivaient rue Jeanne-d’Arc.
Jean-Marie Sinquin a reconnu avoir tué des coups de revolver sur les agents. Noblet était à ses côtés. Diverses contradictions ont été relevées dans les interrogatoires des inculpés. Jusqu’à présent, d’après eux, seul Sinquin aurait fait usage d’une arme à feu.
Ces treize individus ont été mis à la disposition du Parquet.
D’autre part, M. Meyer, directeur de la police judiciaire et M. Frédérique, commissaire de police du quartier de la Gare, ont procédé à des nombreuses perquisitions dans les immeubles de la Cité.
Au Parquet.
Les individus arrêtés ont été conduits au Petit Parquet devant M. Terrier, substitut, qui les a mis à disposition de MM. Saussier et Linais, juges d’instruction lesquels leur ont fait subir un interrogatoire d’identité et les ont fait écrouer à la prison de la Santé.
Une information sera ouverte aujourd’hui sur diverses inculpations.
Le communiste Marty à l’œuvre
On sait que depuis longtemps un projet de démolition de la Cité Jeanne d’Arc a été décidé par le Conseil municipal. C’est le conseiller communiste du quartier de la Gare, précisément, l’ex-officier félon de la mer Noire, Marty, qui s’y est jusqu’ici opposé.
Il s’est rendu, d’ailleurs, hier, au début de l’après-midi, à la Cité —- qui offrait encore les restes lamentables de la hideuse rébellion nocturne — et a harangué ses électeurs, au nom d’on ne sait quelle Internationale, tentant de ranimer en eux une nouvelle flamme de haine.
Propagandistes appréhendés
Signalons que, hier, après-midi, boulevard de l’Hôpital, des agents ont arrêtés vers 4h30, Robert Mémin, 16 ans, demeurant 49, rue Croulebarbe et Raymond Bayard, 27 ans, demeurant 20, rue Albert, qui distribuaient des tracts annonçant pour le soir, à 20h30, une réunion 163 boulevard de l’Hôpital : 1° pour protester contre l’arrestation du député Monjauvis ; 2° pour demander le retrait des forces policières qui gardent actuellement la Cité Jeanne-d’Arc ; 3° pour la libération des gens arrêtés à la suite des incidents de la Cité Jeanne-d’Arc.
Une lettre à M. Villey
Le conseiller du quartier de Maison-Blanche, M. Louis Gélis a écrit au préfet de la Seine pour lui demander « à qui incombera la responsabilité des actes de vandalisme commis la nuit dernière par une bande de meneurs sans conscience ni scrupules, profitant de la misère du moment et de la crédulité naïve des malheureux ».
Le sort de la Cité Jeanne-d’Arc
A la chute du Premier Empire, iI fut décidé que de logements destinés aux chiffonniers seraient édifiés dans le 13è arrondissement. (*) Peu de temps après, deux vastes corps de bâtiments s’élevaient, l’un fut la Cité Jeanne d’Arc, l’autre cité Dorée qui s’est éboulée dernièrement et qui se trouvait à côté, sur le boulevard de la Gare.
La Cité Jeanne d’Arc était autrefois la propriété de l’Assistance Publique ; les immeubles furent vendus ultérieurement à la Ville de Paris. Le bulletin Municipal du 14 janvier 1934 relate la décision prise pour la démolition de cette cité.
Un regain d’agitation
Hier soir vers 21h30, la police municipale était avisée que des groupes de communistes se massaient rue Nationale à l’angle de la cité Jeanne d’Arc et recommençaient à dépaver la chaussée pour élever des barricades. Des renforts furent immédiatement dirigés à cet endroit. À l’arrivée des gardiens, les émeutiers s’empressèrent de prendre la fuite. L’incident n’eut pas de suite, bientôt le calme était rétabli.
Toutefois, un service de surveillance a été organisé par M. Meyer, commissaire divisionnaire, du 7è district. Il resta sur place durant toute la nuit.
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Les communistes qui s’étaient réunis au nombre de deux cent cinquante dans une salle du boulevard de l’Hôpital pour s’échauffer en commun contre le service d’ordre et la politique nationale se sont dispersés sans incident à 3 heures 35, chantant à peine une timide Carmagnole.
138 ARRESTATIONS ONT ÉTÉ OPÉRÉES AU COURS DE LA JOURNÉE DU 1er MAI
Le chiffre total des arrestations au cours de la journée du 1 mai (en banlieue, à Paris, y compris celles de la Cité Jeanne-d’Arc s’élève à 138. Le nombre de celles qui seront maintenues n’est pas encore fixé.
(*) C'est une approximation de la part du rédacteur. En fait, les immeubles de la Cité Jeanne d'Arc furent édifiés à partir de 1860. (NdE)
A lire également
A propos de la Cité Jeanne d'Arc
La cité Jeanne d'Arc fut construite entre 1869 et 1874 par un nommé Thuilleux, architecte et propriétaire de son état (49 rue Peyronnet à Neuilly) qui laissa son nom à un passage aujourd'hui disparu (et épisodiquement son nom à la cité), et fut démolie à partir de 1939 après une longue période d'évacuation. Entre temps, la cité fut un foyer de misère et de pauvreté autant qu'un lieu sordide et nauséabond à éviter. Avec la cité Doré, la cité Jeanne d'Arc est l'un des lieux du 13e sur lequel on trouve le plus d'écrits et de témoignages. On ne saurait donc ici proposer qu'une sélection.
Le nommé Thuilleux ne brillait pas particulièrement sur le plan de la philanthropie, ce n'était vraisemblablement pas son but.
Le Dr Olivier du Mesnil, dont il sera question plus loin, rapporte dans son ouvrage L'Hygiène à Paris (1890) que "la commission d'hygiène du XIIIe arrondissement s'est émue lorsqu'elle a vu s'élever cette immense bâtisse où se montre à la fois l'inexpérience du constructeur et son mépris absolu des règles de l'hygiène." Il ajoute que "la commission du XIIIe arrondissement ne s'est malheureusement préoccupée que de la question de sécurité ; il est dit en effet dans son procès-verbal du 28 mars 1870 que M. X. [Thuilleux] fait construire rue Jeanne-d'Arc des habitations extrêmement vastes qui ont donné des craintes au point de vue de la solidité, mais qu'après examen la commission, tout en constatant l'extrême légèreté des constructions, déclare qu'elles ne paraissent pas présenter quant à présent de causes d'insalubrité."
Les taudis que constituait la cité Jeanne d'Arc dès l'origine, attirèrent donc rapidement l'attention de la ville de Paris après une épidémie de variole et une inspection sévère se traduisit dans un rapport établi par le Dr du Mesnil à destination de la commission des logements insalubres. La ville prescrivit ensuite des mesures d'assainissement que Thuilleux s'empressa de contester devant le conseil de préfecture de la Seine (le Tribunal administratif d'aujourd'hui, jugement du 28 juillet 1881), lequel donna largement raison à la Ville, puis devant le Conseil d'État (arrêt du 1er aout 1884), lequel rejeta le recours introduit au motif que "les diverses causes d'insalubrité signalées par la commission des logements insalubres dans les maisons appartenant au sieur Thuilleux et formant la cité Jeanne d'Arc sont inhérentes à ces immeubles et proviennent de leur installation vicieuse..."
Des améliorations finirent pas être réalisées mais ne sortirent pas la cité de sa fange.
Thuilleux et ses successeurs profitèrent encore 30 ans de la manne que représentaient les loyers de la cité Jeanne d'Arc avant de la céder, en 1912, pour 800.000 francs à l'Assistance Publique qui sous la conduite de M. Mesureur, envisageait de réaliser une grande opération de création de logements à bon marché dans le secteur. Au moment de la cession, le ou les propriétaires de la cité tiraient un revenu net de 85.000 francs des 2500 locataires de la cité selon Le Matin du 2 novembre 1912.
Le projet de l'Assistance Publique ne se concrétisa pas notamment eu égard à refus des locataires de quitter les lieux et fut gelé par la guerre. La cité changea de mains en 1925 lorsque l'Assistance Publique renonça à ses activités dans le domaine de habitations à bon marché devenu celui des communes via leurs offices de gestion.
Devenue foyer d'agitation et enjeu politique, la démolition de la cité Jeanne d'Arc est une fois de plus décidée à la fin de l'année 1933 dans le cadre de la lutte contre les îlots insalubres. La mise en œuvre de cette décision prit du temps surtout après les évènements du 1er mai 1934 et l'organisation de la résistance aux expulsions par le PCF.
Les premiers temps
- Le Bazar Jeanne-Darc (1874)
- Paris Lugubre : la Cité Jeanne-d’Arc et la cité Doré (1879)
- Conseil de préfecture de la Seine - 28 juillet 1881
- La Cité Jeanne-d’Arc (La Presse, 11 aout 1881)
- La cité Jeanne-d’Arc - Extrait de Paris horrible et Paris original (1882)
La période "Assistance Publique"
- Neuf cents chiffonniers déménagent (Le Matin, 2 novembre 1912)
- La cité Jeanne d’Arc vu par le Gaulois (Le Gaulois, 17 novembre 1912)
- Un Meeting des Locataires de la Cité Jeanne-d’Arc (1912)
- Trois ilots à détruire d'urgence (1923)
Dix ans de blocage
- Une injustice à réparer - Lucien Descaves, L’Intransigeant — 29 juin 1924
- La Ville de Paris va-t-elle enfin s'occuper de la cité Jeanne-d'Arc ? (1931)
- L'assainissement de la cité Jeanne-d'Arc (Le Temps, 17 janvier 1934)
- On va démolir la cité Jeanne-d’Arc (La Liberté, 21 janvier 1934)
Sur les évènements du 1er mai 1934
- Le « Fort Chabrol » de la cité Jeanne d’Arc (Excelsior, 2 mai 1934)
- La cité Jeanne d’Arc transformée en fort Chabrol, récit du Petit-Parisien
- Treize émeutiers de la Cité Jeanne-d’Arc ont été arrêtés hier matin, récit du Figaro
- La tentative d'émeute cette nuit rue Nationale, récit du Journal
- Les assiégés de la cité Jeanne-d'Arc se sont rendus ce matin, récit de Paris-Soir
La fin de la Cité Jeanne d'Arc
- Ventres vides, poings levés ! (L’Humanité — 3 juin 1934)
- André Marty aux côtés des locataires de la cité Jeanne-d'Arc contre l’entrepreneur Gervy (L’Humanité — 9 mai 1935)
- La cité Jeanne-d'Arc a été nettoyée de ses indésirables (Paris-Soir, 24 septembre 1935)
- Cité Jeanne-d'Arc - Les agents protègent les ouvriers démolisseurs des taudis (1935)
- Sous la protection de la police, des ouvriers ont entrepris la démolition de la trop fameuse cité Jeanne-d'Arc (Le Matin - 1935)
- Une rafle dans la cité Jeanne-d’Arc, repère de la misère et du crime (1937)
- Les ilots de la misère par Jacques Audiberti (1937)
Faits divers
- Un Drame du Terme (1902)
- Une cartomancienne assassine son ami (1921)
- La police devra-t-elle assiéger dans la cité Jeanne-d'Arc Henri Odoux qui blessa sa voisine ? (1935)
- L'ivrogne qui avait blessé sa voisine est arrêté. (Le Journal - 1935)
Autres textes de Lucien Descaves
La cité Jeanne d'Arc dans la littérature
- La Cité Jeanne-d'arc - Extrait de Paysages et coins de rues par Jean Richepin (1900)
- La Cité Jeanne d'Arc dans "Les mémoires de Rossignol" (1894)
- Extraits de "Un gosse" (1927) d'Auguste Brepson: