Dans la presse...

 Condoyer - La capitale démanteliée - 3/4

La capitale démantelée

La zone

Le Journal — 23 octobre 1930

Article précédent

 

Dessin de Bognard.

Ce qui frappe parmi tant d'autres choses dans une randonnée autour de Paris, c'est la promptitude avec laquelle femmes et enfants se sont groupés sur ces espaces nus laissés par les fortifs.

Partout où les constructions ne sont point commencées, on rencontre ainsi de ces terrains, improvisés squares. L'herbe recommence de pousser, sur cette terre bouleversée et nivelée dont les bornes ont reculé comme la courbe fuyante d'une plage. Les femmes apportent leur pliant, leur ouvrage, et s'installent en groupes papoteurs tout au long des après-midi.

L'étendue est peuplée de voitures d'enfant, de femmes assises qui allaitent des nouveau-nés, de gamins qui piaillent, courent, triturent la terre, bâtissent des forts et trouvent sur un amas de gravats quelque illusion de dune maritime. Chaque quartier semble se pousser de la sorte hors de chez lui. Si bien que des nurses d'Auteuil aux mères de famille des Lilas ou aux dames chapeautées de Versailles, Paris donne à qui le circonscrit un échantillonnage de ses physionomies variées. Car l'espèce de sens péjoratif qui s'attachait aux fortifs a disparu avec eux. Cette région voit venir à elle une population qui ne présente plus l'uniformité- équivoque ou le charme acide de l'autre, celle qui ira, elle et la police seules savent où.

Ces légions de femmes et d'enfants, où iront-elles à leur tour lorsque, dans cinq ans environ, toute la ceinture des 35.000 immeubles neufs se sera refermée sur Paris et que tous ces espaces seront occupés ? On a pensé à elles en particulier et à tous les Parisiens en général. Toute la zone qui se coulait entre les fortifs et la banlieue sera transformée comme à Auteuil, en squares, pelouses, bosquets, terrains de jeux, jardins, bassins d'eaux vives, cascades, corbeilles de fleurs, toute une large enceinte ininterrompue de verdure.

Pour l'heure la zone est encore là. À peine a-t-elle un peu perdu de son caractère vers Boulogne où les expropriations — pour la plupart des ateliers — ont commencé. Pour le reste, rien n'est changé. D'un peu partout maintenant on en découvre un bout collé sur le flanc du glacis, allongeant au bas du panorama des maisons banlieusardes son étrange fouillis de tôles et de planches.

La sortie de Paris à la porte de Bicêtre. En fond, l'immeuble de la fondation Cognacq-Jay, boulevard Kellermann

Fourmilière de chiffonniers sous la porte de Bicêtre, au long des rives que la Bièvre englue de son eau grasse, taupinière de brocanteurs sous la porte d'Arcueil, plus bourgeoise vers Bagnolet, plus ordonnée à Choisy, presque riante sous sa verdure frisée au Pré Saint-Gervais, lépreuse et louche à la Villette, ouvrière vers le Point-du-Jour, elle poursuit sa vie grouillante dans ses cahutes en peau de bidons, dans ses jardinets où fleurissent en frères le potiron et le ressort de sommier, sous ses balcons en planches d'emballage d'où pendent des lambeaux de chiffons gras.

La zone vers la porte d'Ivry (Photo E. Atget)

Guinguettes noires accroupies derrière des barrières pourries, sentines honteuses, chalets mornes fabriqués de débris d'enseignes vantant d'inconcevables fritures et des dégustations de moules, roulottes, bric-à-brac, culs-de-sac ou des araignées poussiéreuses veillent sur des monceaux d'ordures mangées de rouille, baraques qui s'épaulent mutuellement comme des matrones saoules, voilà pour quelques coins propres et même coquets, ce qui dans sa généralité lisère Paris comme ces bourrelets d'écume jaunâtre et d'épaves que la mer pousse sur les grèves.

Des enfants vivent là-dedans, barbotent dans ces ruisseaux qui sont le tout-à-l'égout de ces cités. Du pittoresque, en voulez-vous ? La zone en regorge. Il lui sort des yeux. Mais c'est surtout le pittoresque de la crasse. En vérité, est-ce que la première capitale d'Europe se doit d'avoir ce pittoresque-là ?

De la zone on voit monter les immeubles énormes. Parfois même, ils se dressent tout contre elle. Elle rampe à leur base comme pour flairer leur menace. Elle les hait souvent parce qu'ils sont le commencement de sa fin, le signe que son temps de disparaître approche.

La question est aiguë. Il faut regretter le laisser-faire ou les circonstances particulières qui ont permis à cette population de passer de 22.000 habitants en 1913 à 112.000 aujourd'hui et de s'incruster eut ces glacis frappés de servitude. Mais le sentiment de dépit de ces gens est compréhensible. Pour aussi minable que soit un abri, on y tient lorsqu'on n'a que lui. La solution qui conciliera zoniers et Ville de Paris est dure à trouver ; l'expropriation ne sera point une mince affaire pour peu au surplus que les mœurs électorales s'en mêlent.

Et pourtant il faut la trouver parce que l'urbanisme, l'hygiène ne permettent plus de laisser subsister semblable état de choses, dût le pittoresque en mourir.

Émile Condroyer.

Article suivant



Sur la Zone...

Le commencement de la fin de la Zone

Les articles d'Émile Condroyer

La capitale démantelée (1930)

Autres textes d'Émile Condroyer

Voyage au pays des zoniers (Série d'articles de Pierre Bénite - 1930)

Dans l’étau des grands buildings (Série d'articles de Pierre Humbourg - 1931)

Divers aspects de la zone dans les années 30

Les Zoniers

Faits divers

Dans la presse...


Le Puits artésien de la Butte-aux Cailles

L'achèvement prochain des travaux du puits artésien de la place Hébert est venu nous rappeler un autre puits du même genr dont le forage fut commencé presque à la même époque que celui du puits des hauteurs des Belleville, mais tombé complètement dans l'oubli depuis une vingtaine d'années : nous voulons parler du puits artésien de la Butte-aux-Cailles. (1889)

Lire la suite


Petite ceinture : stations de Montrouge, Gentilly et Maison-Blanche (1868)

La construction de cette partie du chemin de fer de ceinture où les voies sont dans des tranchées de 8 à 10 mètres de hauteur a nécessité cette position des gares qui se trouvent, comme on le voit dans la Fig.2 construites sur un tunnel dans lequel passent les trains.... (1868)

...


Le mystère des Gobelins

Un bruit sinistre, dont un de nos confrères s'est fait l'écho, a couru hier sur la rive gauche. M. Guignet, chef des ateliers de teinturerie à la manufacture des Gobelins, se serait aperçu que certaines parties d'un grand panneau de tapisserie représentant la Conversion de saint Paul avaient perdu toute la vivacité de leurs couleurs. (1894)

...


Le Métropolitain dans les Catacombes

Les travaux de consolidation de la ligne circulaire n° 2 du Métropolitain de Paris, ou plutôt les travaux de préparation de la construction de cette ligne au travers du terrain effondré et affouillé des Catacombes et des carrières de Paris, notamment boulevard de Vaugirard, boulevard Saint-Jacques et boulevard de l’Hôpital, sont terminés. (1902)

...


Le Métropolitain (Place d'Italie-Place Mazas)

La ligne ouverte à l'exploitation, au commencement du mois dernier, — de la place d'Italie à la gare d'Orléans, — complétée par la section Orléans-Mazas et le raccordement Mazas-Gare de Lyon mis en service le 14 juillet, assure, dès à présent, des relations directes entre toutes les lignes exploitées, et a permis — comme l'indique notre plan général — la constitution d'un premier réseau homogène. (1906)

...

Saviez-vous que... ?

La rue du Tibre, dans le quartier Maison-Blanche, a été ouverte sur l'emplacement d'une voirie d'équarrissage, elle a porté le nom de rue de la Fosse-aux-Chevaux, puis du Tibre, à cause de la Bièvre autour de laquelle ont été groupés des noms de fleuves.

*
*     *

Le 7 décembre 1930, un beau dimanche, à l'angle de l'avenue des Gobelins et de la rue Philippe- de-Champaigne, le manœuvre géorgien Parmény Tchanoukvadzé, trente-six ans, abattait à coups de pistolet automatique M. Noé Ramichvili, quarante-neuf ans, ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement menchevik de Géorgie, président à Paris du parti Tebanoukvadze social démocrate géorgien, blessant M. Menagarichvili, secrétaire du précédent, qui se portait au secours de son chef.

*
*     *

En 1937, le président du comité du 13e arrondissement du Groupement général des classes moyennes tenait sa permanence pour les adhésions au cabaret de Mme Grégoire, 41, rue de Croulebarbe.

*
*     *

Le 15 février 1883 des gardiens de la paix attrapaient une cigogne dans le jardin situé au milieu de la place d’Italie et remirent l’animal à M. Perruche, commissaire de police du quartier Croulebarbe qui l’envoya à la fourrière où elle mourut quelques jours après faute de nourriture adaptée.
A la déception de ceux qui croyaient que cette cigogne annonçait le printemps, il s’avéra qu’elle appartenait à un nommé Blochet, chimiste à Ivry, qui l’a fit empailler.

L'image du jour

Place Pinel