Un jour dans le 13e

 La Catastrophe de la rue de Tolbiac

La Catastrophe de la rue de Tolbiac

Le Gaulois — 22 octobre 1915

Dans la matinée d'hier, le général Galopin, commandant la place de Paris, accompagné de ses officiers d'état-major, est allé visiter les lieux de la catastrophe. Il a été guidé par M. Guillaume, commissaire divisionnaire, et par plusieurs témoins de la catastrophe.

Le général s'est longuement entretenu avec plusieurs rescapées. Il s'est fait longuement expliquer les diverses phases de l'explosion par le directeur de l'usine, M. Billand; dont la grande douleur fait peine à voir. Un jeune ouvrier de l'usine, blessé à la tête, a fait le récit suivant :

— Je sortais faire une course pour un de mes amis quand se produisit l'explosion. Ce fut une détonation épouvantable qui me projeta contre le mur l'usine, en un instant, fut un foyer ardent. J'étais abruti, épouvanté, tout était rouge autour de moi. Je restai quelques secondes sans pouvoir me rendre compte exactement de ce qui venait de se passer.

» Puis, j'entendis des cris de douleur; surtout des cris de femmes et de gosses qui pleuraient en s'enfuyant. Beaucoup de ces malheureux se tenaient la tête à deux mains, butant contre des débris, tombant, puis se relevant, courant encore. À mon tour, sur le point d'être atteint par des flammes, je dus m'enfuir en trébuchant. J'en suis sorti, je ne sais pas comment !

» Je me rappelle encore un détail qui vous prouvera comment cette explosion a provoqué des cas singuliers. La sentinelle, un soldat colonial, causait à l'entrée de l'usine avec une femme et un gardien de la paix. L'explosion se produit, le soldat est projeté dans les airs et son corps va se jucher sur le toit d'une maison voisine ; la femme, elle, est décapitée, son corps est projeté à trois cents mètres de là et va tomber sur la chaussée d'une rue. Par un hasard extraordinaire et heureux, l'agent, renversé seulement, s'est relevé sans une égratignure son képi seul était, en morceaux. »

D'après les derniers renseignements parvenus à la préfecture de police, le bilan, des victimes de la catastrophe s'élèverait cinquante-sept blessés et quarante-cinq morts. Parmi les blessés, six sont soignés à l'hôpital Cochin, trois à l'hôpital de la Croix-Rouge, les autres à l'hôpital de la Pitié.

Parmi les victimes, il faut compter un piquet de garde du 21è d'infanterie coloniale, — six hommes et un caporal — qui tous ont péri dans cette catastrophe.

On ne connaît pas encore la liste des morts dont l'identification sera très difficile pour un grand nombre, à cause de l'état des cadavres. On cite une fillette de l'école située en face de l'usine, qui passait là au moment de l'explosion, et qui fut tuée net. Deux des blessés qui avaient été transportés, l'hôpital de la Croix-Rouge, place des Peupliers, sont morts la nuit dernière.

Les funèbres recherches se sont poursuivies pendant toute la journée d'hier. Les corps ont été transportés la Morgue.

L'étendue et les causes de la catastrophe provoqueront, a-t-on affirmé, un débat au conseil municipal. Deux accidents s'étaient déjà produits dans cette même usine, maintenant disparue, et avaient fait des victimes.

Dans la matinée d'hier, MM. Laurent, préfet de police ; Lescouvé, procureur de la république ; Boucard, juge d'instruction ; les docteurs Socquet et Dervieux, médecins légistes, et M. Mouton, directeur de la police judiciaire, se sont rendus à la Morgue. Il y a là quarante-trois cadavres. Les deux blessés qui ont succombé l'hôpital portent, comme, nous venons de le dire, à quarante-cinq le chiffre des morts. On recherche, en outre, le cadavre du contremaître de l'usine Billand, que M. Delavenne, conseiller municipal, est venu réclamer. Le trouvera-t-on parmi les décombres de l'usine ou bien les restés de l'infortuné doivent-ils être compris parmi les débris humains qui ont été recueillis et non identifiés ? On ne peut se prononcer encore en ce qui le concerne.

À la Morgue, les magistrats ont essayé d'identifier les cadavres pendant que les médecins légistes se livraient à des constatations médicales et rédigeaient leur rapport sur les blessures. La plupart des corps sont horriblement carbonisés et rendus dès lors méconnaissables beaucoup ont été retrouvés presque nus, leurs vêtements ayant brûlé et s'étant réduits en poussière au moment de la relève.

Dans une salle spéciale, où les corps ont été déposes et où trente-quatre cercueils seulement contiennent des corps entiers, — d'autres ne contiennent que des débris — les familles ont été admises à défiler. Six corps ont pu être reconnus. Ce sont ceux de M. Louis Mipot, soldat au 21e colonial, reconnu par son père ; Mme Gilles, née Joséphine Duclos, passage Tolbiac 20, reconnue par son beau-frère et sa sœur ; Mme Roy, rue d'Alembert, reconnue par une voisine ;  Mme Lalande, rue de Clisson 12, reconnue par des voisins, et, enfin, une fillette de treize ans, Blanche Guéhin, rue du Banquier, 40.

Avant de quitter la Morgue, M. Laurent a remis à M. Gayral, commissaire de police du quartier de l'Arsenal, une somme de quinze cents francs, pour être distribuée aux familles des victimes, sans préjudice des sommes qui seront ultérieurement votées par le conseil municipal et qui seront réparties par les soins de Assistance publique. MM. Delanglade et Portaire, commissaires de police, ont été Chargés également de distribuer des secours

L'après-midi, M. Poincaré est allé à l'hôpital de la Pitié, où il a rendu visite aux blessés, auxquels il a distribué, à titre personnel, des secours s'élevant à 5,000 francs.

La catastrophe de la rue de Tolbiac - 20 octobre 1915


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18 novembre


21 novembre


10 décembre


L'accident du 23 juillet 1915

Saviez-vous que... ?

Ernest Rousselle (1836-1896) -C'est lui ! - et son fils Henri (1866-1925) étaient négociants en vins.

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L'École Estienne est installée à son emplacement actuel depuis novembre 1889 mais n'a été inaugurée que le 1er juillet 1896 par le président de la République, M. Félix Faure.

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La voie qui prit le nom d'avenue Edison en 1932, devait, initialement relier la place Nationale et la place d'Italie.
Le projet fut brutalement abandonné, ce qui explique l'aspect particulier de l'avenue à proximité de la place d'Italie où quelques dizaines de mètres seulement rester à percer.

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Jusqu'en 1865, la rue de Patay (bourg du Loiret où Jeanne d'Arc défit les Anglais en 1429) portait le nom de boulevard de Vitry.

L'image du jour

La rue Coypel vue du boulevard de l'Hôpital

On remarquera sur la gauche de la rue, la moitié restante du marché couvert des Gobelins qui sert désormais d'entrepôt et de garage. Il demeurera en place jusqu'à la fin des années 1960 pour laisser la place l'hôtel de police du 13e qui remplaça tous les commissariats de quartier qui furent fermés.