Sur la Bièvre...

 La Bièvre - Alfred Ernst

Chronique

La Bièvre

Le Siècle — 9 septembre 1890

L'épidémie toute locale qui vient de se produire rue du Moulin des-Prés, et que on se décide enfin à combattre en supprimant les causes qui l'avaient fait naître, a décidé plus d'un reporter à visiter les vieux quartiers pauvres de la rive gauche, ces rues éloignées de la Maison-Blanche, de Gentilly, de la Glacière, totalement ignorées du grand nombre des Parisiens.

Pour moi, que tentent tout spécialement ces coins pittoresques, étranges même, infiniment plus intéressants à mon goût que les arcades Rivoli et les maisons de rapport du boulevard Haussmann, j'ai voulu par courir à nouveau la région de Paris que traverse le cours sinueux de la Bièvre, les anciens emplacements de l'abbaye Saint-Victor, du cloître des Cordelières, les rues de la Colonie, de Tolbiac, Croulebarbe...

Je commence par affirmer que mon amour de la couleur locale et des masures caractéristiques ne va pas jusqu'à souhaiter qu'on n'assainisse pas les quartiers insalubres. Avant tout, l'économie scrupuleuse de la vie humaine. Mais que l'on ne se croit pas obligé, pour cela, de renverser les antiques maisons qui nous restent, d'aligner implacablement les tortueuses ruelles que le très vénérable corps des ponts et chaussées n'a pas encore mises à mal.

Dans le cas qui nous occupe, la mortalité qui a frappé tant d'enfants en bas âge, dans cette petite province parisienne, ne vient pas, directement du moins, de la Bièvre limoneuse, des terrains vagues tout bosselés de scories, des talus aux palissa des disjointes, des tanneries aux murailles lézardées. Nul malheur ne serait sans doute à déplorer si des fouilles bien inutiles, pratiquées à Clamart et dans l'ancien cimetière Sainte-Catherine, n'avaient mis au jour quantité de terre et de gravats mêlés d'ossements, imprégnés de germes infectieux non encore détruits, débris et matériaux qu'on a eu le tort de laisser séjourner à ciel ouvert, à l'air libre, à la pleine chaleur, tout près de la rue du Moulin-des-Près.

Nous pouvons donc, sans que notre curiosité offre en soi rien de macabre, prendre plaisir à une excursion dans les quartiers dont je parlais tout à l'heure. Bien des aspects de Paris nous demeurent trop souvent ignorés : les étrangers connaissent parfois notre ville mieux que nous.

Parisiens mes frères, combien d'entre vous ont visité Saint-Julien-le-Pauvre et le dédale des vieilles rues qui avoisinent Saint-Séverin ?

Combien êtes-vous qui connaissez des ruelles comme la rue du Chat-qui-Pêche, ou, plus simplement, qui soyez au fait des coins pittoresques de votre Marais ? Vous êtes-vous arrêtés un soir, sur cette étroite montée de la rue des Barres, où l'abside de Saint-Gervais, se profilant sur le cuivre rouge du couchant, s'entoure de toitures aux silhouettes si archaïques et si bizarres, que l'on pourrait se croire revenu au seizième siècle ? Élargissons la question : Savons-nous bien seulement les richesses de nos monuments publics, les trésors artistiques de nos musées et de nos églises ?

Me voilà loin de la Bièvre; j'y reviens, mais non pour vous en décrire moi-même les singuliers aspects, car, pour vives et sincères que puissent être mes impressions je ne les saurais mieux faire que de céder la parole au maitre littérateur Huysmans.

L'original auteur d'À Rebours, à la langue verveuse, à la phrase mordante, aux truculentes épithètes, s'est passionné pour les sites lépreux du Petit-Gentilly et de Saint-Victor. Il nous les a contés, en incisifs paysages, les colorant sans doute aux flammes de son imagination volcanique, mais non sans en fixer la note juste et le caractère essentiel. Les gourmets de lettres, comme aussi les bons casaniers qu'effraye une excursion en ces lointains parages, trouveront dans sa plaquette, La Bièvre, une intense description de cette partie si curieuse de Paris.

« Pour suivre la Bièvre dans ses détours, il faut remonter la rue du Moulin-des-Prés et s'engager dans la rue de Gentilly ; alors, le plus extraordinaire voyage dans un Paris insoupçonné commence... C'est la ruelle des Reculettes, un vieux passage habité par les ouvriers des peausseries et des teintures. Aux fenêtres, des femmes dépoitraillées, les cheveux dans les yeux, vous épient... sur le pas de portes à loquet, des vieillards se retournent, qui lient des ceps de vigne serpentant le long des bâtisses en pisé dont on voit les poutres.

« Cette ruelle se meurt, rue Croulebarbe, dans un délicieux paysage, où l'un des bras demeuré presque libre de la Bièvre paraît ; un bras bordé du côté de la rue par une berge dans laquelle sont enfoncées des cuves de l'autre, par un mur enfermant un parc immense et des vergers que dominent de toutes parts les séchoirs des chamoiseurs...

Écoutons-le se complaire aux pittoresques tableaux de la ruelle des Gobelins :

« C'est une allée de guingois, bâtie, à gauche, de maisons qui lézardent, bombent et cahotent. Aucun alignement, mais un amas de tuyaux et de gargouilles, de ventres gonflés et de toits fous. Les croisées grillées bambochent; des morceaux de sac et des lambeaux de bâche remplacent les carreaux perdus... Çà et là, de grands murs, rongés de nitre, fleuronnés de moisissures, rosacés de toiles d'araignée, calcinés comme par un incendie... « Sans doute, cette étonnante ruelle décèle l'horreur d'une misère infime ; mais cette misère n'a ni l'ignoble bassesse, ni la joviale crapule des quartiers qui l'avoisinent...c'est une misère anoblie par l'étampe des anciens temps; ce sont de lyriques gue nilles, des haillons peints par Rembrandt, de délicieuses hideurs blasonnées par l'art. A la brune, alors que les réverbères à huile se balancent et clignotent au bout d'une corde, le paysage se heurte dans l'ombre et éclate en une prodigieuse eau-forte. L'admirable Paris d'antan renaît... »

Et Huysmans de s'attendrir, en songeant au passe, aux siècles où la petite rivière coulait librement, fièrement même, sous le ciel bleu, entre des peupliers et des saules, et baignait la majestueuse abbaye Saint-Victor. Hélas ! Je l'attends au détournement de l'Avre !

Alfred Ernst.


Sur la Bièvre ...

La Bièvre à Paris

Gazette nationale ou le Moniteur universel (8 avril 1855)

Ce qu'il faut savoir sur la Bièvre

Dictionnaire de la conversation et de la lecture : inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous (1859)

Paris qui s'en va

A. Hermant (1865)

Les égouts et la Bièvre !

Le Siècle (14 janvier 1867)

La canalisation de la Bièvre !

Le Siècle (30 mars 1867)

La Bièvre — Un enfant asphyxié !

Le Droit (6 avril 1871)

Les eaux de la Bièvre !

Le Temps (7 décembre 1875)

La Bièvre

Charles Frémine (Illust. Auguste Lançon) (1876)

La Bièvre

Gazette Nationale ou le Moniteur universel (1877)

Le canal latéral de la Bièvre

Le Petit-Journal (1878)

Les berges de la Bièvre

Le Siècle (1878)

La Bièvre (in Croquis parisiens)

J.K. Huysmans (1880)

Pauvre Bièvre !

Le Rappel (1883)

L'empoisonnement de Paris

Le Petit-Parisien (1884)

La Bièvre

J.K. Huysmans (1886)

La Bièvre

Lucien Victior-Meunier (Le Rappel - 1887)

La Bièvre

Le Petit-Journal 22 septembre 1887)

La Bièvre

L'Intrangisant (1890)

La Bièvre

Alfred Ernst (1890)

Aux bords de la Bièvre

Rodolphe Darzens (1892)

La disparition de la Bièvre

Le Journal des débats politiques et littéraires (1893)

Le curage de la Bièvre

Le Soleil (1894)

La disparition de la Bièvre

Le Petit-Journal (1894)

La Bièvre

L'Intransigeant (1895)

La Bièvre

G. Lenotre (1896)

La Bièvre déborde

Pierre Véron (1897)

La Bièvre

Louis Sauty (1898)

Au bord du passé

Henri Céard (1898)

La Bièvre et ses bords

Le Figaro (1899)

Paris sur la Bièvre

Henri Céard (1900)

La Bièvre

Gustave Coquiot (1900)

Les colères de la Bièvre

La République française (1er juin 1901)

Le ruisseau malin

La République française (2 juin 1901)

A propos de la Bièvre

Le Temps (9 juin 1901)

La Bièvre (Le vieux Paris)

Paris (1902)

La Bièvre (Paris qui s'en va)

Gustave Coquiot (1903)

La fin d'une rivière

Le Rappel (1904)

La Bièvre

La Petite République (1904)

Le long de la Bièvre

Georges Cain (1905)

Autour de la Bièvre

Georges Cain (1907)

La perdition de la Bièvre

Adrien Mithouard (1906)

La couverture de la Bièvre

A.-J. Derouen (1907)

Le danger de la Bièvre

Le Petit-Journal (1908)

Un voyage à l'île des singes

Raymond Lecuyer (1908)

Le dernier soupir de la Bièvre

F. Robert-Kemp (1909)

La Bièvre

Albert Flament (1911)

La fin de la Bièvre

Léon Gosset (1911)

Pauvres ruisseaux

F. Robert-Kemp (1912)

La rivière perdue (Léo Larguier)

Le Journal des débats politiques et littéraires (1926)

La Bièvre et la fête des fraises (Gustave Dallier)

Le Petit-Journal (1926)

Les fantaisies de la Bièvre

Léon Maillard (1928)

Saviez-vous que... ?

La rue du Tibre, dans le quartier Maison-Blanche, a été ouverte sur l'emplacement d'une voirie d'équarrissage, elle a porté le nom de rue de la Fosse-aux-Chevaux, puis du Tibre, à cause de la Bièvre autour de laquelle ont été groupés des noms de fleuves.

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Le 13 juillet 1880 furent organisées des retraites au flambeau dans les principaux quartiers du 13ème arrondissement et le 14, eût lieu à 2 heures, une grande cavalcadre au profit des écoles. Des fêtes forraines se tenaient sur les places et avenue de l'arrondissement et des concerts furent donnés par les sociétés instrumentales et chorales.

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En 1911, selon Le Gaulois, on comptait onze ruelles dans Paris dont trois dans le treizième arrondissement : la ruelle des Gobelins, la ruelle des Kroumirs et la ruelle des Reculettes.

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Le 23 novembre 1897, vers quatre heures, un employé de banque, M. Henri L…, âgé de 40 ans, habitant boulevard de Port-Royal, se présentait au commissariat de police du quartier Croulebarbe et demandait à voir le commissaire en personne.
Mis en présence de M. Yendt, le pauvre employé déclara que Dreyfus était innocent et que c'était lui-même qui avait dérobé et vendu les documents à l'Allemagne. Puis, il prononça quantité d'autres paroles incohérentes.
M. L… fut envoyé l'infirmerie spéciale du Dépôt.

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Place Pinel