FLÂNERIES PARISIENNES
L’église Saint-Hippolyte, aux Gobelins
La Liberté — 20 aout 1908
L’église Saint-Hippolyte, aux Gobelins. — La colonie flamande et allemande au dix-septième siècle. — Une paroisse d'artistes.

Un décret de l'Assemblée nationale, en date du 4 février 1791, réduisait à trente-trois le nombre des paroisses de Paris, qui était, antérieurement, de cinquante-deux.
Parmi les paroisses supprimées figurait celle de Saint-Hippolyte, au faubourg Saint-Marcel ou Saint-Marceau. Son territoire, ainsi que celui de Saint-Martin-du-Cloitre, fut réuni à la paroisse de Saint-Marcel, qui avait son siège dans l'ancienne église collégiale de ce nom. L'église Saint-Marcel, dont le souvenir est rappelé par le boulevard Saint-Marcel et par la rue de la Collégiale, a disparu en 1808, de même que l'église Saint-Martin-du-Cloître, située dans son voisinage immédiat. De l'église Saint-Martin-du Cloître, il ne reste rien, pas même un nom sur la plaque d'une rue. Quant à l’église Saint-Hippolyte, qui fut mise en vente en 1793, mais dont quelques vestiges subsistaient encore en 1867, son emplacement est indiqué par la rue Saint-Hippolyte, ouverte entre le boulevard Arago et la rue de la Glacière.
Cette église, qui s'élevait à la naissance du boulevard Arago, n'était point un de ces édifices religieux dont la perte est, au point de vue artistique et architectural, à jamais regrettable. Mais elle tint une place importante dans l’histoire ecclésiastique de Paris, ainsi qu’on le verra par la monographie très documentée que vient de lui consacrer l'abbé Jean Gaston, vicaire à Saint-François de Sales : Une Paroisse parisienne avant la Révolution — Saint Hippolyte (à la Librairie des Saints-Pères).

CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Les érudits qui s'intéressent à l'histoire de Paris trouveront dans ce livre des renseignements de premier ordre sur la vie religieuse d’une paroisse sous l'Ancien Régime et sur les querelles qui pouvaient mettre aux prises le clergé des églises rivales, également désireuses de maintenir leurs prérogatives.
Saint-Hippolyte se recommande pour d'autres raisons encore à l’attention : ce fut, notamment, jusqu'à sa disparition, l'église paroissiale de la manufacture des Gobelins.
Dès le milieu du quinzième siècle, Jean Gobelin, le chef de l'illustre famille de teinturiers dont le nom est resté au quartier, était déjà installé sur les bords de la Bièvre, car, en 1443, il louait au clergé de Saint-Marcel une maison située grande rue Saint-Marcel, avenue des Gobelins) et aboutissant par derrière à la rue de Bièvre (aujourd’hui rue des Gobelins), c'est-à-dire comprise dans l'enceinte de la manufacture actuelle. En 1454, cette maison étant sans doute devenue trop étroite pour qu’il pût s'y loger avec ses nombreux enfants, il lui en adjoignit une autre, contiguë et sise rue Saint Hippolyte.
Saint-Hippolyte compta donc les Gobelin parmi ses paroissiens ; plusieurs d'entre eux y furent inhumés, notamment un Jean. Gobelin, qui était réputé pour sa piété et sa charité. C'était, en outre, le meilleur des patrons : en effet, la peste ayant interrompu les travaux de la teinturerie, il n’en paya pas moins leur salaire habituel aux ouvriers que ce cas de force majeure condamnait au chômage forcé.
Dans l'église Saint-Hippolyte des épitaphes signalaient les vertus des Gobelin, bienfaiteurs insignes de la paroisse. L'une d'elles, qui était gravée en lettres gothiques, nous a été conservée ; malheureusement, on ignore à quel Gobelin elle s'applique : « Ici zist Gobelin, fins (mais) son corps seulement, — Car son esprit heureux est ore (maintenant) au firmament ; — Bien que la mort l’ait crins (pris) en la fleur de son auge, — Si a-t-il accompli ce que Dieu veut de nous, — L'aimant de tout son cœur et bienfaisant à tous. — Peut-on d’un plus long vivre attendre davantage ? »
En 1603, une colonie de tapissiers flamands, que dirigeaient les sieurs de Comans et de La Planche, s'était établie dans une maison de la famille Gobelin, à peu de distance de sa teinturerie. Cette colonie était sans doute fort importante car, en 1627, sur la demande d'une pieuse princesse, Claire-Eugénie-Élisabeth, infante d'Espagne, veuve de l’archiduc Albert d'Autriche, duchesse de Brabant et comtesse de Flandre, une confrérie fut instituée à Saint-Hippolyte en vue d'assurer aux ouvriers flamands et allemands établis dans le quartier une prédication faite dans leur langue maternelle. Ce service fut confié au P. Angély, « prêtre de l’Oratoire des Augustins bétonnés discaux, prédicateur et confesseur des nations étrangères ». Par la suite, la confrérie transporta son siège à Saint-Germain-des-Prés, mais des conférences en flamand et en allemand continuèrent à être données à Saint-Hippolyte d’abord, à la manufacture des Gobelins ensuite. Elles furent supprimées en 1693, faute d’auditeurs ; la colonie « Belgique » et « teutonique » s’était si bien francisée que les enfants et petits-enfants des immigrés ne comprenaient plus le flamand ni l’allemand.

Lebrun et Mignard, que leur inspection sur la manufacture royale des Gobelins conduisait fréquemment dans le faubourg Saint-Marcel, admiraient fort les vitraux de Saint-Hippolyte, qui ont disparu lors de la Révolution. Lebrun, qui avait fourni pour cette église le modèle d’une statuette d'argent de saint Hippolyte et le dessin du maître autel et y avait peint différents tableaux, était marguillier d’honneur de la paroisse, et ne manquait pas d’assister à ses processions solennelles, pour lesquelles il mettait à la disposition du clergé les plus belles tapisseries de la manufacture.
Au dix-huitième siècle, Saint-Hippolyte eut parmi ses bienfaiteurs le célèbre amateur Jean de Jullienne, le protecteur de Watteau. Jean de Jullienne, qui avait succédé à ses oncles Jean Gluck et François de Jullienne dans la direction de leur importante manufacture de teinturerie, habitait un hôtel dont la cour du numéro 3 de la rue des Gobelins a conservé quelques restes. Il fit à Saint-Hippolyte des dons considérables eu tableaux, en ornements sacerdotaux et vases sacrés et contribua largement à sa décoration.
Malgré la destruction des registres de Saint-Hippolyte, disparus dans l'incendie de l’Hôtel de Ville par la Commune, M. l'abbé Jean Gaston a pu dresser un répertoire de plus de six cents actes relatifs à des artistes français du dix-septième et du dix-huitième siècles, qui eurent des attaches avec la paroisse : Audran, Boucher, les Cuffiéri, de Comans, Corneille, Coustoua, Coysevox, Edelinck, de Jullienne, Charles Lebrun, Oudry, Parrocel, Danican Philidor, Tuby, Van der Kerchove, Van den Meulen, etc., etc.