L'ancienne Pitié
Journal des débats politiques et littéraires — 29 mai 1903

La Pitié doit subir le même sort que l'ancien Hôtel-Dieu. Ici, la nécessité de tout démolir était peut-être moins évidente. L'emplacement convenait à merveille pour un hôpital, étant largement aéré ; le Jardin des Plantes s'étend jusqu'à la Seine les conditions d'hygiène sont donc excellentes. Quelques-uns des bâtiments, rongés par la vétusté, ont un air assez sordide, et il fallait évidemment les remplacer par des constructions neuves. Mais on va, du même coup, raser un immense édifice qui date du dix-septième siècle il est encore aujourd'hui en très bon état et on l'a adapté aux exigences de la médecine moderne. Ses façades n'ont aucun caractère, et ce n'est point par amour des vieilles pierres qu'on regrette sa disparition. Mais l'on se demande s'il est conforme au sens commun de renverser ce qu'il ne coûterait rien de conserver. Ce sont là des opérations assez absurdes où l'on craint de découvrir l'influence des architectes. D'ailleurs, les terrains occupés par l'hôpital de la Pitié seront vendus à des spéculateurs qui les couvriront de maisons de rapport; c'est encore un peu d'air que l'on va ainsi retirer à un des quartiers les plus populeux de Paris.
L'église de l'hôpital de la Pitié n'offre aucun intérêt d'art ou d'archéologie. Mais elle renferme un beau groupe du dix-huitième siècle placé au-dessus du maître-autel : il représente ta Vierge pleurant sur le corps de Jésus, dont un ange supporte la tête, tandis qu'un autre, à ses pieds, tient la couronne d'épines (les anges sont charmants). Un médaillon de marbre, la mère de Douleur tenant le corps de son fils sur ses genoux, surmontait autrefois la porte de la sacristie on l'a naguère encastré dans le soubassement de l'autel. Ces œuvres d'art, de précieux débris de vitraux, un joli buffet d'orgue, un bon tableau du dix-huitième siècle (la conversion de Saint-Paul) devront être pieusement recueillis lorsqu'on démolira la Pitié.
Où les déposera-t-on ? Une fois de plus la commission du Vieux-Paris s'est demandé si, l'Assistance publique ne pourrait pas grouper dans un musée les richesses d'art dont elle est propriétaire.
Les épaves de Notre-Dame de la Pitié pourront, semble-t-il, trouver un abri, soit dans la chapelle de la Salpêtrière, soit dans celle de l'hôpital Saint-Louis ; il est préférable de laisser dans les églises les œuvres d'art d'un caractère religieux. Mais l'Assistance publique a déjà un embryon de musée dans l'ancien hôtel de Miramion, aujourd'hui la Pharmacie centrale des hôpitaux. Ne faudrait-il pas augmenter ces collections de toutes les pièces intéressantes qui sont maintenant dispersées dans des administrations diverses ? Et, surtout, n'est-il pas indispensable de protéger la magnifique maison des Miramionnes ? Je vous ai déjà entretenu de ces diverses questions. J'y reviendrai quelque jour.
L'hôpital de la Pitié sera reconstruit sur un vaste jardin qui dépend de la Salpêtrière. On voit l'économie du projet : l'Assistance vendes terrains de la Pitié et, avec l'argent produit par cette aliénation, bâtit un hôpital neuf sur des terrains dont elle est déjà propriétaire. La spéculation financière est peut-être heureuse. Reste à savoir si elle est favorable à l'hygiène de Paris.
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Sur les hôpitaux de la Pitié et de la Salpêtrière :
L'ancien hôpital de la Pitié
Le nouvel hôpital de la Pitié
- On reconstruit l'Hôpital de la Pitié (1906)
- Le Nouvel Hôpital de la Pitié (1908)
- Le Nouvel Hôpital de la Pitié (1910)
- Ouverture du nouvel hôpital de la Pitié (1911)
- M. Poincaré inaugure le nouvel hôpital de la Pitié (Le Petit-Journal - 1913)
- M. Poincaré inaugure le nouvel hôpital de la Pitié (Le Temps - 1913)