Lieux et monuments

 paris-treizieme.fr — L'Eden des Gobelins - Alexandra Pecker 1933

Arsène Lupin à l’Eden des Gobelins

Ma rencontre avec Gaston. — Ma visite à la kermesse

Comoedia — 15 février 1933

Lorsque j'étais une moins de dix ans j'adorais le GrandOpéra. Depuis j'ai changé de goût, mais à cette époque, je l'adorais.

Certes, pendant les actes qui me paraissaient interminables, les bruits wagnériens troublaient considérablement ma douce quiétude, les vocalises m'effaraient mais je les supportais stoïquement dans l'attente de la récompense qui m'attendait au bout de l'épreuve sous la forme de l'entr'acte.

À ce moment, je me ruais vers le foyer dont le parquet avait tout de la patinoire et j'effectuais des glissades périlleuses.

Pour tout dire, j'aimais l'Opéra pour les entr'actes. Aujourd'hui, j'aime les cinémas de quartier d'un amour identique et j'en accepte les inconvénients puisqu'ici-bas tout amour comporte des sacrifices. À l'Opéra, c'était l'ouïe qui était au supplice. Dans les cinémas de quartier c'est l'odorat et comme le nez est plus facile à boucher que le oreilles, on gagne au change.

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L'Eden des Gobelins, 57 avenue des Gobelins, alors salle de concert. Il deviendra ensuite salle de cinéma sous différents noms et disparaitra en 1985.

A l'Éden des Gobelins, l'entr'acte passe en grande vedette, vers 10 h. 20.

J'arrive à 10 h. 15 pour ne pas en perdre une réplique.

Un film tire à sa fin.

Après avoir glissé sur des pelures d'oranges et fait craquer sous mes semelles des épluchures de cacahuètes, je réinstalle entre deux casquettes, non sans avoir marché sur quelque chose qui a dû ressembler à une bottine dans des temps très lointains.

— Eh ! j'ai des pieds.

Je m'en étais aperçue…

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— Ah! dis donc! Comment qu'y la cherche.

— T'en fais pas! Y la r'trouvera.

On ne peut rien cacher à un public d'habitués. Effectivement, l'héroïne oxygénée fut retrouvée. Ses larmes glycerinées furent séchées et tout finit bien.

Fondu. Fin. Entr'acte. Publi-Ciné. Plein feu. Pastille de menthe, bonbons acidulés, Valence, Esquimaux. Mais oui, Esquimaux, malgré l'inclémence du temps et si le public les boude, ce n'est pas à cause du thermomètre, c'est parce qu'ils coûtent cinq sous de plus qu'avant.

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Mes voisins rigolent parce que j'ai allumé une cigarette.

— Eh! t'as vu la femme qui fume !
— Y en a pas une pour moi ?
— Mais comment donc !

Il ne devait pas s'attendre à cela car il avait l'air un peu démonté en extrayant une cigarette — à bout doré, ma chère ! — de l'étui que je lui ai tendu.

Comment a-t-il pu y parvenir ? Ses doigts étalent beaucoup plus gros que l'étui.

— Passez aux copains.
— Sans blague ? Y en a pour tout le monde.

La connaissance est faite. Il ne manque que les présentations. Peu de chose.

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Un gosse miaule derrière nous :

— Mémère, je veux aller.
— T'as encore mal au ventre ?

Mémère se leva et comme elle ne savait pas exactement où se trouvait l'endroit qui porte des initiales à consonance d'outre-Manche, elle le nomma plusieurs fois par son nom à consonance bien française.

À cette évocation répétée, Pépère fit remarquer, on ne peut plus judicieusement:

— G... pas tant! ils viendront pas à ta rencontre.

Les meilleures choses ont une fin.

L'entr'acte a fait place à Arsène Lupin.

Un des charmes disparus du film muet était les bouts de conversations qui fusaient dans les salles obscures.

Les films ne parleront jamais autant, ni avec autant de spontanéité que les spectateurs le faisaient aux Ursulines à l'époque héroïque du surréalisme et dans les cinémas de quartiers de tous les temps. Car, dans le peuple, toutes les époques sont des époques héroïques.

Aujourd'hui, il faut attendre les rares scènes muettes pour que reprennent leur règne, les « va-z-y » et les « qu'est-ce qu'il lui met » et les « Pz, pz » quand les vedettes s'embrassent. Tout de même, la joie éclate bruyamment chaque fois qu'un policier est refait. Pour le public en casquette le « fin limier » des films s'apparente toujours un peu au « matraqueur » des jours de grèves et de manifestations et on se sent bien vengé quand le gentleman hors-la-loi lui joue des tours pendables.

L'Éden des Gobelins

Mais à la fin de ce film-là, Guerchard le fin limier, se trouve être un brave type et laisse s'évader le duc de Charmerace — alias Arsène Lupin — pour s'acquitter d'une dette de reconnaissance et ne pas être en reste de générosité à la suite de circonstances compliquées; je vous fais grâce des détails. D'ailleurs, dans ce filin sur mesure, tous les personnages sont sympathiques et tout le monde est content.

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Mon voisin se retourne vers moi.

— On va à la kermesse ?
— Bien sûr.

La kermesse, de l'avenue des Gobelins est un endroit délicieux où, pour cinq sous, on peut, à son choix, écouter les plus grandes vedettes ou essayer sa force au dynamomètre. Je préfère le dynamomètre mais mon flirt me propose les grandes vedettes. Ah ! les hommes ! comme disent rancunièrement les suffragettes.

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— Moi, je m'appelle Gaston. Et vous ?

Si je lui avais avoué Un prénom de quatre syllabes il aurait cru à une blague et m'aurait retiré sa sympathie.

Une fois de plus il a fallu manquer de franchise pour paraître en avoir :

— Je m'appelle Charlotte.
— Je suis tri-porteur. Et vous ?
— Je suis dans les écritures,
— Mince, Dactylo, alors ?
— Je ne sais pas taper.
— Ah ! Dame, c'est pas facile.

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Il prend des jetons de cinq sous.

— On écoute Damia ? C'est beau, al pleure tout le temps.

Cette fois, elle ne pleura que dans une oreille car nous avons pris chacun un écouteur.

Ensuite, Gaston a mis encore cinq sous pour entendre Maurice Chevalier.

La fêté était complète.

— Eh ! Gaston !

Des copains :

- F... lui la paix. Tu vois bien qu'il a d'la môme.

Bravo ! On n'est pas si discret dans les milieux dits de bon ton.

Quand on annonça la fermeture de la kermesse, je commençais à me demander avec inquiétude ce que j'allais faire de Gaston qui, lui, paraissait savoir très nettement ce qu'il voulait faire.

— On va prendre un petit café?
— Il faut que j'aille chercher mon cache-nez.
— Prends le mien si t'as froid.
— Non; chacun son truc. J'y vais.
— T'habites près d'ici.
— Oui.
— Je vais avec toi.
— Non. On pourrait nous voir.
— Et si tu reviens pas ?
— Penses-tu ? Attends-moi.
— Ohé ! pas longtemps.
— Cinq minutes.

J'ai filé comme si j'avais à mes trousses tous les Guerchard du Scotland Yard, mais je garde un souvenir rempli de charme et de sympathie. Je n'avais jamais écouté Damia avec autant de plaisir et si, plus tard, au fond d'une poche d'un vieil imperméable que je ne mettrai sans doute plus jamais sans l'occasion d'un reportage dans le milieu, je retrouve un jeton de kermesse, je me souviendrai...

Mais l'imperméable était très vieux. La poche était percée.
Je ne retrouverai pas le jeton de cinq sous.
Je ne me souviendrai pas.
Pardon, Gaston !

Alexandra PECKER.
(1906-1986)
 
Devant l'Éden des Gobelins

Selon Wikipedia, Alexandra Pecker, née en 1906 à Paris, en France, et morte dans la même ville le 13 mars 1986, est une femme de lettres française, auteure de roman populaire (roman policier, roman d'espionnage, roman d'amour et roman d'aventures) et de pièces radiophoniques.
Une recherche rapide sur Gallica révèle qu'elle fut aussi journaliste, chroniqueuse, figure de mode, voire également comédienne dans un film. Apparemment, très libre et très en avance sur son temps.

Lieux

Abattoirs de Villejuif (1903)


A.O.I.P. (rue Charles Fourier) (1933)


Arts et Métiers (Ecole des ) (1903)


Asile Nicolas Flamel (rue du Château-des-Rentiers (1904)


Austerlitz (Village d') (1884)


Barrière Croulebarbe (1865)


Barrière des Deux Moulins (1865)


Barrière des Deux Moulins - Le cabaret de la mère Marie (1859)


Barrière de Fontainebleau (1865)


Barrière de la Gare (1865)


Barrière de la Glacière (1865)


La Belle Moissonneuse (1864)


La Belle Moissonneuse (1875)


Boucherie de cheval - Première - à Paris (1866)


Boulevard d'Italie (1883)


Le Cabaret du Pot-d’Étain (1864)


Le Champ de l'alouette (1933)


Le Casino du XIIIe (1899)


La chapelle Bréa (1897)


Château Napoléon (1904)


Cité Doré (1854)


Cité Doré (1882)


Cité des Kroumirs (1882)


Clos Payen (1891)


Rue Croulebarbe (1865)


Les Deux-Moulins et le hameau d'Austerlitz (1884)


L'école Estienne (1896)


L'école Kuss (1934)


Eden des Gobelins (1934)


Église Saint-Anne (1900)


L’église Saint-Hippolyte, aux Gobelins (1908)


La « Folie » Neubourg (1906)


La « Folie » Neubourg (1929)


Fontaine à Mulard (rue de la - ) (1904)


La glacière du 13e (1873)


Gare d'Orléans (1890)


Jeanne d'Arc (Statue) (1891)


Parc (Square) Kellermann


Rue Küss (1929)


Lourcine (Hôpital de -) (1890)


Mairie du 13e (1893)


Marché aux chevaux (1867)


Marché aux chevaux, vu par M. Macé, anc. chef de la sûreté (1888)


Marché aux chevaux (1890)


Marché des Gobelins (1867)


Monument aux mères (1938)


Passage Moret (1911)


Hôpital de la Pitié (ancien) (1903)


Hôpital de la Pitié (ancien)(1908)


Hôpital de la Pitié (nouvel) (1910)


Maison des typos (1933)


Place d'Italie (1877)


Place d'Italie - Histoire de la (1925)


Pont Tolbiac (Inauguration) (1895)


Pont Tolbiac (Technique) (1895)


Poterne des Peupliers - Le Cabaret des Peupliers (1880)


Poterne des Peupliers (1930)


Rue des Peupliers vue par J. Mary (1908)


Raffinerie Say (1890)


Raffinerie Say (1905)


Rue des Reculettes (1928)


Ruelle des Reculettes (1914)


La Salpêtrière (1890)


La Salpêtrière (1903)


Le Théâtre des Gobelins (1869)


Le verger des Gobelins (1914)


La Zone (1931)


La Zone (1933)


Saviez-vous que... ?

Le 19 juillet 1927, le nom de rue de Gentilly fut donné à la rue du Gaz. Le nom de rue de Gentilly avait été, jusqu'en 1899, celui de la rue Abel-Hovelacque d'aujourd'hui. Cette nouvelle rue de Gentilly perdit ensuite son nom au profit de Charles Moureu et d'Albert Bayet.

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En mars 1897, M. Yendt, officier de paix, était nommé commissaire de police des quartiers de la Salpêtrière et de Croulebarbe, en remplacement de M. Perruche, admis à faire valoir ses droits à la retraite.

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Le 4 octobre 1923, par suite d'un dérapage, un camion-auto, chargé de caisses vides, renversait un candélabre en face le numéro 41 de la rue de Tolbiac.

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Ce fut en 1818 que l’espace compris entre l’hôpital de la Salpêtrière, l’ancien mur d’octroi et le boulevard de l’hôpital et qu’on appelait alors le village d’Austerlitz, fut enfermé dans Paris dont le mur d’enceinte fut reporté plus loin ; ce village ne comptait que trois rues : la grande rue d’Austerlitz, le chemin des Étroites-Ruelles et la rue des Deux-Moulins ; deux autres chemins furent alors convertis en rues sous les noms de rues Bellièvre et Bruant. Sur l’emplacement du village d'Austerlitz, on forma les chemins de ronde des barrières de la Gare et d’Ivry, la place de la barrière d’Ivry, les rues de la barrière des Gobelins, de l’Hôpital général et de Villejuif ; enfin on construisit la barrière d’Ivry et l’abattoir de Villejuif. C’est, nous dit H. Gourdon de Genouillac dans son « Histoire nationale de Paris et des Parisiens, depuis la fondation de Lutèce jusqu’à nos jours », depuis la suppression des barrières, le quartier de la Salpêtrière.

L'image du jour

rue Nationale - Quartier de la Gare (image colorisée)

La rue Nationale était l'axe majeur du quartier de la Gare. La rue Jeanne d'Arc n'était pas encore transversante et était dédiée à l'industrie. La rue Nationale rassemblait commerces et services. Elle était le centre de l'animation d'une vraie vie de quartier populaire qui fut voué à la destruction par son classement en « ilôt insalubre ».  ♦