Promenades

 Les gosses en marge - 4

Les gosses en marge

4 - La naissance d’un clown

La Cité Jeanne-d'Arc est le paradis des petits métiers de ces métiers qui se passent, d'apprentissage et qu'on peut délaisser les jours où la paresse l'emporte, sur le besoin. Interrogez des gosses dans la rue et demandez-leur c'e que fait leur père ; ils vous répondront (s'ils vous répondent) :

— Papa travaille dans les wagons.

Ou :

— Papa travaille dans les chiffons.

— A moins qu'ils n'avouent sans malice :

— Papa i f. rien. C'est m'man qui bosse.

Ainsi élevés les gamins ne connaissent guère qu'un moyen honnête de gagner leur vie, le bricolage. Donc, l'été surtout, quand le charbon ne donne guère, ils bricolent. Il y a d'abord ceux qui mendient, comme les trois mômes du père Desbranches, l'aveugle. Ii y a ceux qui, le jeudi et le dimanche matin, jours de marché place Jeanne-d'Arc, donnent un coup de main pour décharger les paniers ; en récompense de quoi, ils rapportent chez eux quelques légumes flétris, des poissons suspects ou de vieilles caisses bonnes au chauffage. Mimile, lui, s'est institué le collaborateur d'un hercule qui tient tapis boulevard de la Gare. Mais le plus étonnant métier, c'est encore celui d'Auguste.

Un bon petit, Auguste, et sage quand il vient à l'école ; mais il n'y vient pas fort souvent. On ne saurait lui en vouloir. La mère, une anormale, presque muette, une de ces femmes que la nature et la misère ont vouées à une déchéance sans retour, l'a eu, voici douze ans, d'un passant qui l'avait sans doute peu regardée et qui, l'ayant vue, s'est évanoui dans l'inconnu. Le gamin a d'abord grand ii au hasard ; puis on l'a confié à sa grand'mère, une brave vieille, presque toujours malade, hélas ! Ce n'est pas elle qui peut veiller sur le petit, le forcer d'aller à l'école; et Auguste est maître d'Auguste.

On le trouve parfois « chez lui », dans une chambre de la cité qui prend vue sur la rue Nationale par une petite fenêtre basse, dont une demi-vitre est remplacée par un journal :

— Où est ta grand'mère, Auguste?

— A l'hosto.

Elle y passe plus de la moitié de sa vie.

— Et ta mère ? Il y a longtemps que tu l'as vue ?

Un geste vague.

Alors, que voulez-vous qu'il fasse, ce môme ? Il sort : il court les rues et… il va au café.

Il y en a plusieurs à l'entrée de la cité Jeanne-d'Arc, rue Nationale. Le patron de l'un d'eux s'est fait une « attraction » d'Auguste. Le petit n'aura que treize ans aux cerises, mais il est monté en graine, comme on dit : membres trop longs, corps menu et, à cause de cela. une souplesse de singe. Le cafetier l'a remarqué naguère sur le trottoir, tandis qu'il faisait « les pieds au mur » avec une sorte de génie natif qui semblait le destiner au cirque. Cette verve acrobatique l'a amusé ; le soir, il a fait venir Auguste chez lui, lui a fait travailler des exercices de difficulté croissante. Les clients riaient quand l'enfant avait réussi une désarticulation nouvelle; on applaudissait le clown en herbe : « Allons ! Vas-y ! Le pied ici ! La jambe comme ça ! » Le cafetier n'y perdait rien, je vous prie de le croire ; Auguste non plus, en somme, puisqu'il récoltait quelques sous et que, gosse solitaire, il s'était acquis une façon de protecteur.

Aujourd'hui, Auguste est « désossé ». Le corps en arc, les mains à terre et les pieds près de la tête, il fait le crabe aussi; aisément que d'autres courent. C'est peut-être un début de carrière. Un jour, tandis que, crochet en main, sac à l'épaule, les copains fouilleront les boîtes à ordures, lui sera peut-être un artiste !

R. Archambault.

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Les promenades

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et l’hôtel de Scipion Sardini

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1922

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Saviez-vous que... ?

En 1863, un marché aux chiens se tenait tous les dimanches sur l'emplacement du marché aux chevaux du boulevard de l'hôpital. Il y avait peu de choix.

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L'Eglise Saint-Marcel de la Salpétrière fut construite en 1856 par l'architecte Blot aux frais de l'abbé Morisot qui, en septembre 1865, la céda à la ville de Paris moyennant 275.285 francs.

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Depuis le lundi 26 août 1935, et dans un premier temps à titre d'essai, la circulation des véhicules s'effectue à sens unique, d'est en ouest, sur chacune des rampes de la voûte dite « Poterne des Peupliers ».

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Dans son numéro du 6 octobre 1935, L’Intransigeant écrivait :
« Nous avons signalé le mauvais état d'entretien de la partie de la rue Watt, sous le pont du chemin de fer.
La compagnie d’Orléans, chargée du nettoiement en cet endroit, a décidé de fermer très prochainement, par des écrans en tôle, les intervalles entre les voies ferrées qui sont actuellement fermés par un simple grillage insuffisant pour éviter la chute de poussières et même de détritus sur la chaussée et les trottoirs de cette rue. »

L'image du jour

La Bièvre, à proximité du boulevard Arago, vers 1904

La rivière n'est plus qu'un égout à ciel ouvert. La pression pour une couverture s'amplifie. La Bièvre disparaitra bientôt.