Aux Gobelins
Retour à la terre
L’Intransigeant — 1er septembre 1930
Ce matin, au bord de la Bièvre, dans les jardins des Reculettes
Quand je me suis réveillé, ce matin, il faisait déjà bien lourd.
La pluie nocturne n’avait pas fait tomber cette chaleur pesante, si désagréable aux malheureux Parisiens qui ne sont pas en vacances.
Où trouver un peu de fraîcheur, de l’ombre pour m’étendre, de la verdure pour oublier la poussière et l’agitation du boulevard.
Je vais me promener dans le quartier des Gobelins.
La rue Abel-Hovelacque s’offre à mes pas. Prenons à droite la vieille ruelle des Reculettes ; elle n’a pas deux mètres de large.
J’aperçois au bas de la colline la vallée de la Bièvre : en plein Paris, une tache verte et ondoyante, au milieu des maisons vétustes et délabrées — refuges des clochards — et des immeubles industriels qui se dressent plus haut que les peupliers.
Plus loin encore, la manufacture des Gobelins et ses jardins superbes, enfin.
Voici un jardin qui me convient : il n’est pas magnifique, mais il y a de l’ombre. Comme un rôdeur, je passe à travers une palissade à moitié pourrie.

Au moment où je me prépare à m’installer confortablement, sous un dôme de fusains et de lilas depuis longtemps sans fleurs, le propriétaire m’interpelle. Il n’est pas rassuré.
— Le quartier n’est pas sûr, m'explique-t-il, et le jardin sert souvent de « terrain » aux apaches pour vider leurs querelles.
Le brave homme a repris confiance. Il m’invite à l’aider dans son travail.
Je tombe la veste, je relève mes manches et c’est avec grand plaisir que je m’empare d’une bêche pour retourner un coin de terre.
Hélas ! je n’ai plus bien l’habitude, mes mains se crispent douloureusement sur le manche de l’outil et de grosses gouttes de sueur tombent de mon front.
— Allez donc aux raisins, ce sera mieux votre affaire, me conseille aimablement mon « patron ».
Les vignes grimpent eu escaliers, le long des murs plus-que centenaires.
Les grappes ne sont pas fameuses, vertes, et déchiquetées par le bec des moineaux ; elles ne me tentent guère.
J’assure cependant leur propriétaire que la « Treille du Roy » n’est que petit raisin à côté.
Le patron est content de moi : j’ai cueilli près d’un demi-panier de raisin squelettique.
Aussi m’invite-t-il à couper quelques beaux dahlias qui ornent de splendides parterres de fleurs.
Puis, d'un puits qui compte plus de cinq cents ans, il tire, au bout d’une corde de vingt-cinq mètres, un seau d’une eau claire, limpide et fraîche.
Je me désaltère largement avec la satisfaction du devoir accompli.
J’ai passé une bonne matinée, et, sans avoir quitté Paris, j’ai été transporté dans les jardins frais et ombragés de la plus lointaine province.
Georges Vogt.