"Un gosse"
roman par Auguste Brepson
Première partie
II
J'avais comme compagnon de jeu notre chienne Prunette, une épagneule à la robe noire et brillante. C'était une bête caressante et craintive, mais qui savait bien m'enlever délicatement des mains ma tartine, lorsque je la mangeais devant la porte, ou encore avait tôt fait de laper mon bol de lait !
Et je la laissais faire avec un sourire béat !...
Quelquefois venait le fils de notre voisin Tournerot, un petit loqueteux gouailleur et brutal, avec tignasse comme du chanvre. II portait toujours en bandoulière une musette vide. Il m'inspirait beaucoup de respect et même un peu de terreur.
Son père et sa grand'mère, une vieille impotente, habitaient une masure au bord de la route, à dix minutes de chez nous.
Ces gens vivaient on ne sait comment. L'homme, quand il ne s’occupait pas d'un vague travail de vannerie, était toujours à rôder par les chemins. On le soupçonnait fort de braconner.
Ma grand'mère les voyait d'un œil hostile. Elle défendait à mon oncle de fréquenter le père, et me disait de me méfier du fils, qu’il avait plus d'un méchant tour dans son sac.
— Surtout, me recommanda elle, la mine grave, en agitant l'index... surtout, ne le suis jamais dans la forêt !
Cependant, un jour, travaillé du besoin d'aventures, je l'y suivis, rempli d'émoi.
Nous allions sur la couche élastique des feuilles mortes, parmi le vaste silence automnal, que troublait parfois la chute d'une branche pourrie dans les lointains déserts.
Mon compagnon tenait un arc fait d'une tige d'osier, avec comme flèche une baleine de parapluie.
Je lui enviais beaucoup cet arc et j'étais impatient de lui voir transpercer un oiseau.
Un moment, blagueur, il parla de me perdre ; et comme il marchait toujours, me souvenant des paroles de ma grand'mère, il me sembla soudain qu'il m'entraînait vers un endroit redoutable. Ses yeux et son sourire me parurent tout à coup diaboliques ; la terreur me prit et je me mis à crier...
Redoutant l'apparition de ma grand'mère, car nous ne nous étions guère éloignés, ce dont je m'aperçus en revenant, il me ramena bien vite ; et je sentis tout le bonheur de la sécurité, lorsque je revis notre maisonnette...
Un gosse (1927)
roman par Auguste Brepson (1884-1927)
Préface par André-Charles Mercier
Première partie
- Chapitre 1
- Chapitre 2
- Chapitres 3 et 4
- Chapitre 5
- Chapitre 6
- Chapitre 7
- Chapitre 8 : Boulevard d'Italie
- Chapitre 9 : Rue de la Glacière
- Chapitre 10 : A la Butte-aux-Cailles
- Chapitre 11 : La cité Jeanne d'Arc
- Chapitres 12 et 13 : La vie, cité Jeanne d'Arc
- Chapitre 13 (suite) : Le marché Saint-Médard
- Chapitre 14 : La mort du père
- Chapitre 14 (suite) : Le marchand de jouet de la rue Nationale
- Chapitre 15 : Noël
- Chapitres 16 et 17
Deuxième partie
- Chapitre 1 : La rue Jeanne d'Arc
- Chapitre 2 : Chez les biffins
- Chapitre 3
- Chapitre 4 : Rue Clisson
- Chapitre 5
- Chapitre 6 : Sur la place Jeanne-d'Arc
- Chapitres 7 et 8 : Quatorze juillet, place Nationale
- Chapitre 9
- Chapitre 10 : Du côté de la Bièvre
- Chapitre 11
- Chapitre 12
- Chapitre 13
- Chapitres 14 et 15
Le texte reproduit est celui paru dans l'Œuvre du 18 janvier au 16 février 1936