Littérature

 Marché Saint-Médard

Le marché Saint-Médard

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

Extrait précédent

 

Première partie

XIII (suite)

[...]Le lendemain matin, avec le peu d'argent qui lui restait, il prit un fiacre et arriva pour la visite à la Pitié, où il fut admis aussitôt.

Nous l'allons voir — pas longtemps, hélas ! — le jeudi et le dimanche et lui portons une orange — c'est tout ce que nous pouvons faire, car le gain de ma grand-mère suffit à peine à nous nourrir. Sur les conseils de l'homme au crochet, qui habite un galetas au sixième, elle a acheté, avec l'argent du buffet-étagère, des lacets, quelques boîtes de cirage, des pains de savon minéral et de mine de plomb et s'en va les vendre au marché Saint-Médard.

Les jours où il fait assez beau elle m'emmène.

Quoique son animation ne soit pas sans m'étourdir un peu, j’aime cet endroit.

Le marché Saint-Médrard (dans le 5eme arrondissement !)

Il s'emplit perpétuellement de monde, de clameurs de denrées. C'est le pays de la boustifaille. On en voit partout. Les boutiques, qui en regorgent, en poussent jusque sur le trottoir et les innombrables voitures des marchands des quatre-saisons en déversent leur trop-plein jusque sur la chaussée, si bien que, du matin au soir, ce n'est sur la place Saint-Médard qu'un immense étalage de mangeaille que se dispute le fourmillement toujours plus dense des ménagères. On aperçoit bien çà et là des fleurs : bottes de chrysanthèmes, de violettes et de giroflées qui embaument la brume d'hiver ; des éventaire de camelots, tenant dentées, papier à lettre et bimbeloterie, mais comme noyés dans ce torrent de rue Mouffetard, qui s'élargit sur la place, bat le pied des maisons à droite, les grilles de l'église à gauche et s'en va mourir au commencement de l'avenue des Gobelin-On ne voit partout que monceaux de choux, de salades et de poireaux, hottées de navets, de radis et carottes ; bannes de patates, de noix et d'oignons, et voiturées d'oranges, de pommes et de chasselas.

Puis de chaque côté de l'abrupte rue Mouffetard, qui canalise en ses hautes et vieilles maisons hautes la foule grouillante ou se voient pas mal de pauvres hères, qui reniflent et qui lorgnent ; ce n’est aux devantures des boutiques basses et obscures, que guirlandes de cervelas et chapelets de saucissons, ribambelles d'escalopes et de côtelettes, quartiers de viande énormes pendus à des crocs, poissons étalés sur des lits de fougère et boites de conserves et de camemberts, étagées en gradins ou montées en pyramides.

Les trottoirs s’encombrent d'entassements de potirons et de meules de gruyère, de caisses d’œufs, de tonneaux de harengs saurs et de sacs de haricots. Le gibier et la volaille foisonnent et sans compter les corbeilles d'escargots, sacs de moules, paniers d'huîtres, on trouve dans ce coin pantagruélique du vieux Paris jusqu'à des brochettes de grenouilles.

Sur tout cela, un brouhaha continu, que transpercent les cris aigus des marchands d'ail en marmottes el les vociférations des commis ; et, dans l'air, mille odeurs, depuis les bouffées aigres d'un marchand de vin à emporter, dont les rinçures de futs colorent en violet l'eau du ruisseau, les relents de la marée, des fromages et des pommes de terre frites, jusqu'aux parfums des reinettes, des mimosas et des mandarines.

Ma grand'mère se tenait habituellement à l'embouchure de la rue Mouffetard, à côté d'un marchand de friture, dont les poissons dorés rissolant dans l'huile bouillante excitaient mon appétit. Mais un spectacle m'intéressait bien plus : celui des illustrés pendus près de moi, à l'échoppe qui s'accote au mur d'angle de l'église Saint-Médard. Je les contemplais longuement, émerveillé, l'imagination tout en branle à deviner leur énigme.

Dieu, que j'aurais voulu savoir lire !

À l’encontre des autres, qui importunaient les ménagères en les poursuivant de leur marchandise qu'ils leur mettaient sous le nez, ma grand'mère se tenait en place et leur présentait ses lacets ou son panier d'un air humble et en balbutiant. Parfois, l'une d'elles, son filet bourré de provisions, s'arrêtait pour lui acheter quelque chose, mais il arrivait aussi, qu'après nous avoir enveloppés d'un coup d'œil, elle lui mettait quelques sous dans la main et s'en allait sans rien prendre.

Dès qu'elle avait fait quelque recette, ma grand'mère achetait notre déjeuner, certaine comme cela de le tenir si, par malheur, il lui arrivait encore de perdre son argent.

La chose se produisit une fois, et je me rappellerai toujours la figure décomposée de ma grand'mère quand elle s'aperçut en rentrant chez nous, par un après-midi de neige, que toute sa fortune, trente-quatre sous, — trois pièces de dix sous et deux gros sous enveloppés dans un bout de journal, — avait filé par la poche trouée de son tablier.

La voilà aussitôt repartie à leur recherche, explorant minutieusement les trottoirs, les pavés et les ruisseaux, dans le gâchis de la neige fondue.

Elle les retrouva, ô miracle ! toujours enveloppés dans leur papier tout trempé de la boue, des mille pieds qui l'avaient foulé, au coin de la rue du Banquier et de l'avenue des Gobelins

Extrait suivant



En savoir plus sur Auguste Brepson

Lire cet article

Le 13e en littérature

A travers la Maison-Blanche

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

par
Lucien Victor-Meunier

Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...

(1907)

Lire


La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

Lire


Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

Lire


Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

Lire


La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

Lire


Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

Lire


Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

Lire

Saviez-vous que... ?

Une jeune fille du village d’Ivry avait coutume de faire brouter ses chèvres sur le boulevard de la Glacière, auprès de la rivière des Gobelins. Hier soir, à sept heures, au moment où elle se disposait à regagner son domicile, elle a été accostée par un individu qui, après une assez courte conversation, l’a frappée de quatre coups de couteau. La jeune bergère est morte sur la place, et son assassin a été presque aussitôt arrêté. À neuf heures, le cadavre gisait encore dans un champ, au coin de la rue Croulebarbe, où M. Roger, commissaire de police du quartier, dressait son procès-verbal. C’est ainsi que les lecteurs de la Gazette de France apprirent la mort d’Aimée Millot, le bergère d’Ivry. La vérité impose de dire que l’auteur des faits n’avait pas été immédiatement arrêté.

La rue située entre la rue du Château des Rentiers et la rue Nationale fut dénommée rue Deldroux, en 1888.
Deldroux était un canonnier qui, en 1871, préféra, mourir que de rendre sa pièce.

*
*     *

En 1863, un marché aux chiens se tenait tous les dimanches sur l'emplacement du marché aux chevaux du boulevard de l'hôpital. Il y avait peu de choix.

*
*     *

Les travaux du pont de Tolbiac enjambant les voies de chemin de fer de la compagnie d'Orléans commencèrent le 1er avril 1893.
Le pont fut inauguré par le Président de la République M. Félix Faure, le 15 juillet 1895.

*
*     *

La rue Giffard est l'ancien chemin de ronde de la Gare. Cette voie reçut son nom actuel en 1884. Henri Giffard, né le 8 février 1825 et mort le 15 avril 1882 à Paris, est un inventeur français, à qui l'on doit l'injecteur et le dirigeable propulsé par la vapeur.

L'image du jour

Je carrefour de l'avenue des Gobelins avec le boulevard Arago et la station d'autobus.